jeudi 31 mai 2018

Le Capitaine et la sirène !


Le Capitaine et la sirène !




Un bien étrange capitaine
Ne cesse d'aller et venir
Faut-il qu'il ait bien l'âme en peine
Pour ainsi ne jamais sourire
L'œil collé à sa longue vue
Il porte le regard ailleurs
Ses passagers restent inconnus
Pour ce curieux navigateur
Il cherche au loin une sirène
Un signe aimable du destin
Fera d'elle à coup sûr sa reine
Elle lui accordera sa main
Sa goélette fend les vagues
Il se prend pour Poséidon
En voilà une belle blague
Lui qui est bien pis que démon
Dans la barque les oubliés
Espèrent un tout petit regard
Qu'il cesse de les ignorer
En les conduisant au hasard
Car ce vieux loup de rivière
Reste sourd aux plaintes à son bord
Il entend l'appel de la mer
Sûr et certain mille sabords
Tournant jusqu'au bout de la nuit
Sans nul souci de ses clients
Il espère un signe fortuit
De la princesse à son galant
La sirène hélas ne vient pas
A d'autres chats à fouetter
Le Capitaine en grand tracas
Devra encore s'en passer
A l'aube enfin toute transie
La troupe s'en revient au port
Les pauvres gens sont bien punis
De s'être embarqués à son bord
Un bien étrange capitaine
Ne cesse d'aller et venir
Faut-il qu'il ait bien l'âme en peine
Pour ainsi ne jamais sourire
•••


mercredi 30 mai 2018

Ne voyez-vous rien venir ?


Ils sont où les romains ?



Il était une fois en des temps lointains, de sombres histoires de pouvoir comme on aime encore en voir. Les acteurs de cette histoire n'étaient pas des tendres, ils avaient mauvaise réputation et la fâcheuse habitude de ne pas coucher sur le papier le récit de leurs exploits pour la simple et bonne raison que ce support n'existait pas !

Soucieux de rétablir ici la menterie vraie, je viens suppléer les chroniqueurs d'alors qui avaient bien mieux à faire que de décrire de telles horreurs. Que les âmes sensibles passent leur chemin, les lignes qui vont suivre sont faites de larmes et de sang. C'était en un temps où la vie des humbles ne valait pas tripette. Depuis, rien n'a beaucoup changé hélas !

Nous sommes en 451, un méchant homme du nom d'Attila a décidé ses hommes à venir en Gaule pour y faire tourisme et profit. Quelques belles tueries et de grands pillages doivent agrémenter leurs vacances itinérantes. Les camping-cars d'alors étaient de lourds chariots de bois chargés, au-delà des normes en vigueur, d'instruments contondants et d'engins de siège. N'ayant plus de place pour leurs provisions, ils étaient contraints de trouver sur place de quoi se sustenter. La monnaie unique n'étant pas encore en application, le pillage était leur seul recours !
Attila et ses Huns avaient jusqu'alors pratiqué le chantage et la menace pour obtenir menue monnaie auprès du Saint empire d'Orient. Depuis peu, même quand ils faisaient les gros yeux, ils n'obtenaient plus le prix de leur chantage. Alors, pour montrer de quel bois ils se chauffaient, Attila entreprit un petit tour de Gaule.
Il entama son périple, le 7 avril à Metz où il fit grand et vilain carnage pour marquer les esprits. Il passa près de Lutèce où une dame Geneviève lui fit tant d'effet qu'il renonça à la contrarier avant que de jeter son dévolu sur la bonne ville d'Orléans. Il y a des traditions locales qui aiment à passer les siècles, le Siège, pour la ville des bords de Loire, constitua sa marque historique !

Attila avait dans la place des traîtres à sa botte ! Sangiban et ses Allains étaient disposés à se vendre au plus méchant et pour l'heure, c'était le visiteur qui tenait le flambeau. Mais d'autres ne voulaient pas céder à la force. Il se trouve toujours des héros pour inverser le cours de l'histoire. C'est le bon Anian qui joua à sa manière le rôle qui fut dévolu à une bergère un millénaire plus tard !

Anian, ayant vent du danger qui sourdait, fit prompt voyage en Arles afin de prier Aétius, le grand guerrier romain de venir au secours de la ville. Aetius et ses amis Wisigoths mirent un peu de temps à réunir leurs troupes pour voler au secours de la ville de Loire. Il fallait trouver moyen efficace pour arriver sur place avant qu'il ne soit trop tard.

Ils remontèrent le Rhône en bateau, firent quelques lieues sur terre, avant que de filer vers notre ville sur la Loire. Jamais on n'avait vu plus belle armada sur le fleuve. Des centaines de bateaux chargés d'hommes et de bêtes, d'armes et d'engins de guerre. C'était les bateaux de l'alarme, il fallait aller vite, le danger pesait lourdement sur la ville.

Nous sommes fin mai, Attila organise son siège. La ville se prépare à subir violents assauts et grandes privations. Anian qui est revenu à temps de son escapade en Arles, exhorte ses fidèles (le bonhomme est évêque) à tenir bon. La foi peut soulever des montagnes ou laisse espérer au miracle céleste.

Aétius et ses alliés Théodoric et son fils Thorismond sont bien ennuyés. Les eaux sont basses et leur armada avance à grand peine. Sur la Loire, plus d'un grain de sable entrave l'avancée de l'armée de secours. Vont-ils arriver avant qu'il ne soit trop tard ? C'est tout le suspens de cette belle histoire. Pour l'instant, les choses tournent au vinaigre pour la ville d'Orléans.

Attila, après quelques jours de siège, pense être prêt à l'assaut final. Dans la ville, le peuple gronde. L'impatience des uns, la trahison des autres font joli désordre et grand désarroi. Anian sentant la colère monter exhorte le bon peuple : « Montez sur les remparts mes bons amis et observez la Loire vers le levant. Ne voyez-vous rien venir ? » Et les braves gens de dire tous en chœur : «  Non Monseigneur. Nous ne voyons que l'eau qui nous noie et le sable qui s'accroît ! » L'évêque de les rassurer avec ces douces paroles : « Ne perdez pas patience mes amis, le seigneur du ciel nous viendra en aide. »

Le 9 juin, l'inquiétude se fait encore plus grande. Autour de la ville, chacun peut voir les hordes barbares faire grands préparatifs pour l'assaut final. Une délégation de notables vient demander à Aignan d'agir à nouveau. Le religieux espère l'arrivée des troupes, c'est son vœu le plus cher, mais il n'est sûr de rien. Il recommence le même discours : « Montez sur les remparts mes bons amis et observez la Loire vers le levant. Ne voyez-vous rien venir. » La populace est bonace, elle se laisse faire et répond cette fois : « «  Non Monseigneur. Nous ne voyons que les nuages qui pleuvoient et le tonnerre qui grondoit ! »

Effectivement, à partir du 10 juin de l'an de grâce 451, il se mit à faire sur le pays une tempête comme rarement on ne vit. Vous pouvez constater par vous même sur le site de météo-France la vérité de mes dires. Toujours est-il que pendant quatre jours, des trombes d'eau s'abattent sur la ville et ses assaillants. Les Huns pour féroces qu'ils puissent être n'aiment pas être mouillés, la chose est avérée et sera vérifiée.

Pendant ce temps sur la Loire, le vilain temps provoque un miracle. Le fleuve fait des joues, il grossit à vue d'œil et les eaux emportent bien vite les bateaux de l'alarme. Le moral des troupes remonte aussi vite que le niveau de l'eau. Les embarcations prennent de la vitesse, elles volent désormais au secours de la ville.

Au matin du 14 juin, le soleil revient pointer son nez sur un décor bien changé. La montée des eaux a défait le bel ordonnancement de l'armée de siège. Les hommes d'Attila ne connaissent pas la Loire, ils le regretteront amèrement. Mais n'allons pas si vite en besogne, dans la ville la peur gagne tous les esprits et provoque la même rengaine.

La population toute entière se retourne vers son évêque. Anian qui semblant perdre un peu la mémoire leur demande pour la troisième fois : « Montez sur les remparts mes bons amis et observez la Loire vers le levant. Ne voyez-vous rien venir ? » Le peuple est patient pour les grands, il s'exécute avant que Huns ne s'en chargent : « «  Oui Monseigneur. Nous voyons des hommes qui ramoient et des soldats qui guerroient ! » Le miracle a eu lieu, Anian gagne ses lettres de sainteté et deviendra bien vite notre Saint Aignan vénérable.

Les troupes d'Attila se lancent à l'assaut avant qu'il ne soit trop tard. Les Huns qui ne sont pas malins traversent la Loire et découvrent alors la force redoutable du courant. Beaucoup d'entre eux sont emportés comme fétus de paille et vont se noyer un peu plus loin en aval de la ville. Rares sont les barbares qui franchissent les murailles.

La ville échappe au massacre, le siège est levé, Aetius glorieux, Aignan vénéré, les Allains honteux et Attila défait. La Loire a joué un rôle essentiel. Les hommes, dans leur vanité habituelle se sont appropriés la gloire de la victoire. Je viens ici rétablir la vérité. C'est le fleuve qui a tout fait car c'est lui le maître des lieux. Il serait bon de ne pas l'oublier, il pourrait bien un jour nous le rappeler !

Historiquement vôtre.
 

mardi 29 mai 2018

Le Cormoran


Portrait en noir et blanc



Presque inconnu sur la Loire au XVIII° siècle au point qu’il était appelé « Corbeau de mer », en voie de disparition il y a cinquante ans, le Cormoran prolifère désormais au point de provoquer l’irritation des pêcheurs et le désamour de bien des ligériens.

Il dispose au niveau de l’Europe du label : « Espèce protégée » même si des mesures ponctuelles sont prises de ce de là pour réguler son nombre. Il est vrai que le nombre de spécimens ne cesse de croître et provoque la colère des pisciculteurs et des pêcheurs. Son appétit est insatiable et lorsqu’il finit par être saturé, il pêche par plaisir …

Les cormorans ont mauvaise presse, c’est le moins que l’on puisse dire. Ils mettent en danger l’équilibre de nos rivières, menaçant des espèces rares de poissons. Il a en outre la réputation d’être un danger pour les avions dans nos petits aéroports. On ne prête qu’aux riches ! Son passif d’ailleurs ne date pas d’aujourd’hui car même dans la Bible, il joue le mauvais rôle. Noé le puni pour son inconduite en le privant d’une glande qui permet l’imperméabilisation de ses plumes. Il est ainsi condamné à se faire sécher les ailes au vent. Il est noir, naturellement couleur rejetée dans la symbolique chrétienne. Demandez donc aux chats noirs qui ont inauguré tous nos ponts ...

Jean De la Fontaine en rajoute une couche avec sa fable : 

 

Les Poissons et le Cormoran

Il n'était point d'étang dans tout le voisinage
Qu'un Cormoran n'eût mis à contribution.
Viviers et réservoirs lui payaient pension .
Sa cuisine allait bien : mais, lorsque le long âge
Eut glacé le pauvre animal,
La même cuisine alla mal.
Tout Cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.
Le nôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux,
N'ayant ni filets ni réseaux,
Souffrait une disette extrême.
Que fit-il ? Le besoin, docteur en stratagème,
Lui fournit celui-ci. Sur le bord d'un Étang
Cormoran vit une Écrevisse.
Ma commère, dit-il, allez tout à l'instant
Porter un avis important
A ce peuple. Il faut qu'il périsse :
Le maître de ce lieu dans huit jours pêchera.
L'Écrevisse en hâte s'en va
Conter le cas : grande est l'émute.
On court, on s'assemble, on députe
A l'Oiseau : Seigneur Cormoran,
D'où vous vient cet avis ? Quel est votre garant ?
Êtes-vous sûr de cette affaire ?
N'y savez-vous remède ? Et qu'est-il bon de faire ?
Changer de lieu, dit-il. Comment le ferons-nous ?
N'en soyez point en soin : je vous porterai tous,
L'un après l'autre, en ma retraite.
Nul que Dieu seul et moi n'en connaît les chemins :
Il n'est demeure plus secrète.
Un Vivier que nature y creusa de ses mains,
Inconnu des traîtres humains,
Sauvera votre république.
On le crut. Le peuple aquatique
L'un après l'autre fut porté
Sous ce rocher peu fréquenté.
Là Cormoran le bon apôtre,
Les ayant mis en un endroit
Transparent, peu creux, fort étroit,
Vous les prenait sans peine, un jour l'un, un jour l'autre.
Il leur apprit à leurs dépens
Que l'on ne doit jamais avoir de confiance
En ceux qui sont mangeurs de gens.
Ils y perdirent peu, puisque l'humaine engeance
En aurait aussi bien croqué sa bonne part ;
Qu'importe qui vous mange ? homme ou loup ; toute panse
Me paraît une à cet égard ;
Un jour plus tôt, un jour plus tard,
Ce n'est pas grande différence.


Le Cormoran joue un peu ici le rôle du renard fourbe. Il est évoqué comme redoutable prédateur pour les étangs, preuve qu’au XVII° siècle il était bien présent chez nous.


Essayons de défendre quelque peu ce bel oiseau aux impressionnantes performances.
En Europe, il en existe trois espèces : le grand cormoran, le cormoran pygmée et le cormoran huppé.

 

Le grand cormoran a une envergure de 1,30 à 1,50 m. Proche de l’oie, il pèse en moyenne de 2 à 2,5 kg, mesure de 80 cm à 1,10 m. Il se nourrit de 750 grammes de poisson par jour qu'il pêche en plongeant sous la surface de l'eau. Ses courtes pattes palmées sont parfaitement adaptées à la plongée. Son bec est très puissant, muni d'un crochet qui blesse ses prises y compris celles qu’il relâche s’il est rassasié. La forme de son cou en S en fait un outil très souple et très adapté à la pêche. Il vit en colonie, niche en bande dans des arbres qui sont de véritables dortoirs. Autrefois migrateur, il est devenu de plus en plus sédentaire en bord de Loire.



Le Cormoran pygmée est plus petit de tous les cormorans. Son plumage corporel est brun si sombre qu’on peut le penser noir. Sa tête est brune plus clair et son bec sourt est recourbé vers le bas à son extrémité. Sa queue est longue. Des taches rouges sur la tête et au cou, lors de la période de reproduction, permettent de le distinguer des autres cormorans européens. Pas de différences d’apparence entre le mâle et la femelle.



Le Cormoran huppé est plus petit que son homologue le grand cormoran et dispose de la même silhouette. Son plumage est noir avec des reflets vert-bouteille. Sur le front, il porte une petite huppe repliée sur l’avant qui est présente uniquement au printemps, pendant la période nuptiale. Son bec est jaunâtre et noirâtre, légèrement crochu à son extrémité. Il est plus fin que celui de son voisin. Au niveau du menton, la peau est nue et possède une coloration bleu sombre. Les pattes sont noires.
Aujourd'hui, la population des Cormorans a explosé. Des estimations évoquent 6 000 000 individus. Depuis 1979, ils bénéficient au niveau européen du statut d'animal protégé. Les Cormorans semblent avoir adopté la Loire et font un prélèvement considérable de poissons.



Le cormoran ne recule pas devant la taille de ses prises : perches, carpes, truites, saumons, jusqu'aux brochets sont à son tableau de chasse. Sur la Loire, dernier fleuve sauvage d'Europe, les cormorans font des ravages. Les zones humides, sauvages, la Brenne, la Sologne, la Dombes ou la Brière, ne sont pas épargnées non plus par son appétit insatiable.

Depuis quelques années, des autorisations préfectorales de chasse avec quotas ont été instaurées. Ainsi, en France, un peu plus de 40 000 individus peuvent être tirés chaque année pendant la période d'ouverture de la chasse au gibier d'eau. Les chasseurs ne sont guère motivés par ce gibier qui sent le poisson et il est compliqué de trouver des volontaires pour gâcher des cartouches. Certains esprits malicieux affirment aussi que le Cormoran est trop malin pour tomber sous les plombs des chasseurs. Les méthodes d’effarouchement avec des pétards, elles aussi ne sont pas opérantes pour enrayer sa progression.


Au Danemark, zone de nidification des cormorans migrateurs, des expériences de destruction des œufs sont menées tout en s’avérant délicates et complexes. C’est un curieux retour à une tradition danoise abandonnée lorsque l’oiseau fut protégé. Gober un œuf de Cormoran était censé porter bonheur.

Pour l’instant, les Cormorans sont encore pour longtemps de terribles prédateurs. Les poissons n'ont qu’à éviter de les fréquenter de trop près, ce qui avouons-le, n’est pas chose aisée ! 

 

lundi 28 mai 2018

Le grand naufrage.


Le grand naufrage.




C’est un matin comme on les aime bien
Le soleil s’invite à notre sortie
Le p’tit vent de galerne ne gâche rien
Pour naviguer sur la Loire entre amis
Oh qu’il est joli mon petit bateau
Quand il se prend pour un fier coursier
Il défie le courant comme un oiseau
Moi qui veux passer pour un marinier

Affublé de mon magnifique chapeau
Je me prends pour un grand capitaine
Défilant devant nos vieux châteaux
Vers de belles destinations lointaines
Nous avons débouché quelques bouteilles
Le vin d’ici nous donne à croire
Que sur l’eau nous ferons des merveilles
Comme les flibustiers de l’histoire

C’est alors que l’effroi survint des nues
Le ciel se chargea de lourds nuages
L’orage claqua, ne l’avions pas prévu
Nous allions tout droit vers le naufrage
Une grande panique s’imposa à bord
Certains se mirent à prier les cieux
Les plus couards se voyant déjà morts
Quand tous les autres ne valaient guère mieux

Dans un grand vacarme effroyable
Le rafiot se retourna d’un seul coup
Mes passagers, tous aussi minables
Pleuraient avec de l’eau jusqu’aux genoux
Mon galurin perdu dans la bataille
Je me retrouvai aussi mouillé qu’eux
Ne riez pas, ce n’est pas un détail
Le seigneur n’était plus qu’un pauvre gueux

Pour votre serviteur quelle décadence
Me voilà perché sur une bérouette
Il me faut me rendre à l’évidence
Je ne suis qu’un marinier d’opérette
Heureusement que personne n’a rien vu
Je retourne à mon quai pour parader
Ne pensez jamais que tout est fichu
Mon prochain jouet est subventionné

Viens sur mon bateau faire des ronds dans l’eau
La rivière redevient navigable
Pour satisfaire notre immense ego
Toujours aux dépens du contribuable



dimanche 27 mai 2018

Sur les bords de l'Allier …


La belle meunière.




Il était une fois au bord de la rivière Allier une meunière si belle que les paysans d'alentour venaient moudre leur grain chez son mari pour le seul plaisir des yeux. Cela se déroulait à Yzeure en ces temps lointains où le comte d'Archambault tenait petite féodalité. Nous sommes au dixième siècle, époque où, si les mœurs étaient plus courtoises, il ne fallait pourtant pas plaisanter avec les liens sacrés du mariage.

Le brave meunier savait qu'il faisait beaucoup d'envieux. Il s'en amusait plus qu'il ne s'en inquiétait. Sa belle n'avait eu, jusque-là, d'yeux et de tendresse que pour lui. Sa plastique avantageuse était pour lui un argument commercial : une manière bien commode d'attirer le client. Son moulin était prospère : c'était bien là l'essentiel. L'eau pouvait bien faire tourner la grande roue ; il dormait sur ses deux oreilles ...

Le meunier n'aurait jamais été la risée du pays s'il n'était venu à l'idée du Comte de venir chasser dans les parages. C'est un jour de traque du cerf, qu'Archambault VIII vint dans la forêt de Molardier, à la suite de sa meute, poursuivant un vieux mâle bien corné. Pour des raisons qui échappent encore aux raconteurs d'histoire, le Comte s'égara, perdant de vue la bête traquée et toute la bruyante troupe de la chasse à courre. Il finit par se retrouver en bord de rivière et un passeur lui permit de franchir l'Allier.

Sur l'autre rive, c'est naturellement vers le moulin que le conduisirent ses pas. Que ce soit le hasard ou bien l'appel du cor dans le lointain, le noble personnage fit alors la rencontre de sa vie. La belle meunière le remit dans le droit chemin d'un sourire à faire perdre la tête à un comte, à un prince comme à un manant. L'amour ne connaît pas les distinctions sociales ; une fois encore, les barrières avaient cédé. Le meunier, tout à son ouvrage, ignorait alors que son destin était scellé.

Le Comte décida dans l'instant de trouver prétexte à venir plus souvent dans les parages de cette dame, belle à vous damner. Il avait de quoi s'offrir un petit nid pour ses amours et fit construire un relais de chasse à proximité du moulin. Sa passion de la venaison pouvait couvrir des intentions peu avouables, fussent-elles celles d'un seigneur sur son territoire.

La belle meunière ne fut pas insensible à ce stratagème. Elle avait remarqué, la diablesse, les regards enflammés que lui avait lancés ce cavalier et ne s'en était pas offusquée, loin s'en faut. Bien vite, elle se prit au jeu de la passion qui vous fait perdre la tête et commettre bien des folies. Pourtant, son mari était un obstacle qu'il fallait contourner avec précaution. Le meunier était chaud du bonnet et capable, tout Prince que fût son amant, de le rosser, de le battre comme plâtre !

Une femme éprise n'est jamais à court d'imagination quand elle veut s'offrir quelques libertés. Celle-ci ne fit pas exception à la règle et trouva un stratagème digne de la passion qu'elle vouait à son gentil chasseur. Elle avait remarqué que son meunier de mari était sujet à crise de sinusite s'il lui venait à respirer de trop près la farine.

Quand son galant, par un messager discret annonçait sa visite en son relais de chasse, la belle perfide profitait du sommeil du brave meunier pour lui rouler le nez dans la farine. Au petit matin, l'homme, il n'y manquait jamais, était réveillé par des éternuements à vous rendre fou. Il savait qu'il n'avait dans ce cas précis qu'une manière de pouvoir supporter la crise. Il prenait son matériel de pêche et partait sur les bords de l'Allier, respirer le grand air toute la journée …

La belle pouvait dans l'instant s'éclipser à son tour et rejoindre son comte. Ce qui se passait alors dans le relais de chasse ne nous regarde pas. Curieusement, les trophées venaient à manquer depuis quelque temps pour Archambault et, bien vite, dans la région, il se murmura que le meunier portait d'aussi belles cornes que les cerfs qui n'étaient plus chassés ! Les gens sont mesquins.

Avec le temps, la belle meunière et le comte espacèrent leur rencontres. Le comte fit fortifier son relais de chasse, craignant sans doute qu'un jour, le meunier découvre la vérité et vienne lui chercher querelle. Les amants disparurent, les héritiers édifièrent plus tard un palais ducal à l'emplacement du nid des amoureux.

Une ville en ce lieu allait naître qui devint Moulins, en hommage à la belle meunière qui avait pris dans ses filets un comte. Le pauvre meunier ne se douta jamais qu'il fut à l'origine de deux expressions de la langue française et d'une belle cité. Une rue à Moulins, longtemps s'appela rue du Moulin Bréchimbault, déformation habituelle en une époque où les patronymes fluctuaient au gré des transcripteurs.
Par la suite, le Moulin disparut de la plaque de rue mais, pour montrer que tout cela n'était qu'illusion et mensonge, le théâtre municipal fut érigé en cet emplacement. On ne saurait trouver meilleure origine pour accueillir vaudevilles et belles farces. Le rideau pouvait tomber sur les amours adultérines de la belle meunière et du comte.

Adultérinement leur. 
 

samedi 26 mai 2018

Entre Parcours et Jardins



Le jeu de piste





Chaque année à la même époque, l’association ABCD propose aux orléanais son jeu de piste à la poursuite des souffleurs de vent. Un itinéraire complexe dans le quartier Bourgogne pour aller de jardins en maisons, de cours intérieures en salons, à la découverte d’artistes locaux qui se produisent durant quarante cinq petites minutes, simplement pour le plaisir d’offrir aux curieux, un aperçu de leurs productions.

Tous les genres sont représentés, toutes les musiques ont leur place dans cet itinéraire, chacun déambule au gré du hasard ou bien d’une envie, d’un conseil glané sur la route ou d’une opportunité qui s’ouvre. La rue devient ainsi un incroyable circuit sur lequel, des passants se transmettent des informations, tentent de décrypter un programme à l’apparence mystérieuse de carte au trésor. On se parle, on s’arrête, on se donne rendez-vous au camp de base, là où buvette et restauration vont elles aussi être complétées par un copieux programme musical.

C’est encore l’occasion de découvrir des endroits merveilleux, des petits jardins, dissimulés habituellement derrière des murs ou des façades, de pénétrer quelque temps dans l’intimité d’inconnus qui vous ont ouvert leur porte et leur cœur. C’est un bonheur qu’il ne faut pas manquer, une plongée dans l’intimité de vos hôtes. Les artistes ressentent parfaitement ce cadeau somptueux qui leur est fait, ils se mettent dans la posture des invités surprises, des visiteurs d’un instant, proposant sans ostentation, le meilleur d’eux-mêmes.

La belle équipe d’ABCD est elle-même composée de tant d’artistes qu’il lui est naturel de penser le spectacle comme une activité non seulement vivante mais plus encore en mouvement. C’est là l’essence de ce programme que de mettre en marche le public durant un week-end festif et joyeux, convivial et étonnant. Il convient d’aller vers l’inconnu, c’est le plus sûr moyen de s’ouvrir l’esprit tout en élargissant considérablement le champ de ses goûts.

Les artistes, même si ce vocable n’est pas celui qui convient en la circonstance, se produisent gratuitement. Ils redeviennent pour certains, amateurs qui cherchent à se faire entendre quand d’autres débutent véritablement et sont perçus au même niveau que les plus expérimentés. La bienveillance de toute façon, sera l’attitude des organisateurs comme la ligne de conduite des spectateurs itinérants. C’est ici, l’esprit initial de la fête de la musique qui perdure et se renouvelle sans cesse.

Le programme est forcément éclectique, varié, ouvert à toutes les sensibilités. Vous trouverez des chanteurs en solo ou bien en groupe, des adeptes des musiques actuelles, des musiciens classiques, des conteurs, des troupes de théâtre ou bien des danseurs, des humoristes et même des expositions tandis que des joyeux fous tenteront de jongler avec les mots, de vous hypnotiser ou bien de vous accompagner dans votre déambulation.

Il y a place pour tout le monde, surtout pour tous les esprits ouverts, les curieux, ceux qui ont renoncé à rester prostrés derrière leur lucarne à abrutir les consciences, les spectateurs qui ne se sentent pas l’obligation d’appartenir à une tribu, un genre à l’exclusion de tous les autres. Parcours et Jardins c’est une voie ouverte vers les voix et les expressions, les cultures et les mondes, les rêveurs et les créateurs.

Ne manquez pas cette formidable occasion, rejoignez-nous ! Pour disposez du précieux topo guide, passez par le 108 de la rue Bourgogne et laissez-vous mener ensuite par le bout du cœur. Naturellement la gratuité est la seule règle qui convienne à ce moment unique de partage authentique. Seule votre présence constituera notre richesse. À bientôt !

Artistiquement leur.
Pour en savoir beaucoup plus
=>  Le blog de Clodelle ici : http://www.clodelle45autrement.fr/


Un si long parcours


Un si long parcours



Son chemin sera fait de pierres
De goulets et de rochers
D'arbres ou bien de lumière
De sables en ricochets


Elle a hésité à sa naissance
La mer était à deux pas de là
Elle a pris de la distance
Au nord elle a glissé ses pas
Elle a traîné dans les prairies
Entourées d'herbes sauvages
De moutons, vaches et brebis
Au début de son long voyage
*
Fille folle, femme féconde
Elle a filé sa belle route
Creusant des gorges profondes
Elle abandonnait ses doutes
Elle s'est gonflée d'autres rivières
Devenant toujours plus forte
En faisant quelques manières
Pour que les marins l'exhortent

Refrain

De toutes, elle est la plus belle
Faisant dans nos cœurs des ravages
Pour ces marins si rebelles
Il fallait qu'elle soit sauvage
Personne ne l'a enchaînée
Coulant suivant ses humeurs
Tant pis pour vous les mariniers
Vous n'arriverez pas à l'heure

Refrain

Quand elle a choisi le ponant
Elle s'offrit bien des douceurs
Emportée par son courant
Vers des jours bien meilleurs
Elle se répand sans retenue
Elle se fait alors aimable
Vous déclarant la bienvenue
Quand elle devient navigable

Refrain

Dans l'Océan elle se jette
Terme de son long voyage
Déjà nous on la regrette
Perdue si loin de nos rivages
À force de péripéties
Son chemin est fait d'histoires
De légendes et de récits
Qui nous chantent notre Loire

Son chemin sera fait de pierres
De goulets et de rochers
D'arbres ou bien de lumière
De sables en ricochets




jeudi 24 mai 2018

Le petit homme


Le petit homme



Il était un petit homme
Qui avait une barbe blanche
Pas plus haut que trois pommes
Mais, il côtoyait les anges !


Il aimait chanter en public
De douces mélodies à lui
Pour ce vieux barde celtique
La fête était son harmonie
Sa guitare nous entraînait
Sur des danses endiablées
Lui par dessus il aimait
Voir ces couples tournoyer

Quelques phrases sur un papier
De pauvres rimes sans façon
Des vers boiteux dessus leurs pieds
Pour qu'ils en fassent une chanson
Quelques notes lui suffisaient
Pour que trottent dans les têtes
Un air que tous danseraient
Dans les bals et les fêtes

Lui demeurait impassible
Bien planté sous son fanal
Il ne bougeait pas un cil
Pour que tous les hôtes du bal
Par ses manières insidieuses
Se laissent ainsi enchaîner
À ses rengaines mélodieuses
Qu'il leur avait inventées

Le petit homme souriait
Dans sa barbe bien fournie
Ce piège qui fonctionnait
Lui suggérait d'autres envies
Il se rêvait maître des rondes
Grand mélodistes du bonheur
Pour que les gens de ce Monde
Deviennent des danseurs

Quand la terre toute entière
Sera une piste de danse
Il n'y aura plus de guerre
Pour détruire l'espérance
Le musicien dans sa splendeur
Aura sauvé l'humanité
Sur son podium enchanteur
Tous les danseurs à ses pieds


mercredi 23 mai 2018

À croire avec modération !

La bouteille d'Or



    Toutes les fables ne sont pas nécessairement à la gloire de notre marine de Loire. Celle que je vais vous céder ici n'est pas à mettre dans toutes les bouches. Qu'importe, fort de ma volonté de ne jamais rien vous dissimuler, je me dois la vérité pure. Je ne mettrai pas d'eau dans mon vin pour complaire aux modes, voici donc, telle qu'elle est vraiment, la déplorable fable de la bouteille d'Or.

    Il était un temps fort lointain de nous où nos braves mariniers ne buvaient jamais d'eau. Pour décommandée que soit cette pratique, elle n'était pas du seul fait de cette belle coopération. Ne jugeons pas avec nos yeux d'aujourd'hui des pratiques du temps jadis. Il en irait d'ailleurs de même dans l'autre sens. Gardons-nous de nous penser supérieurs à nos glorieux anciens !

    Fils de Galarne était un marinier fort réputé. Sur la rivière, il n'y avait pas meilleur que lui pour lire les flots, déchiffrer les pièges et trouver le bon passage. Il connaissait la Loire comme nul autre et avec lui, le voyage était un long chemin tranquille. Mais, en ce bas monde, toute médaille a son revers, celui du gars Fils de Galarne tenait du débordement ….

    Notre bonhomme avait, une fois à terre, un goût intangible pour le cruchon. Il allait de taverne en troquet, d'estaminet en auberge et buvait plus que de raison. Lui qui était d'une sobriété exemplaire sur l'eau, perdait toute modération quand il avait les deux pieds sur la berge. Un mal de terre en quelques sorte, qui le faisait tourner barrique !

    En ce temps là, le marinier était assez souvent en congé. La vacance de la navigation était fréquente. Les aléas de la rivière, le trop d'eau ou bien le pas assez, la glace, les fêtes chômées ou bien les retards des marchands, on pouvait perdre à terre bien des jours à ne savoir que faire. Alors Fils de Galarne les occupait à lever le coude et à perdre la tête.

    Malheureusement pour lui, une fois son vice assouvi, le pauvre bonhomme ne savait plus où il habitait. Il allait au hasard et se perdait dans la nature. Il perdait la boussole, errait avant que de se bauger dans une « bouchture » pour cuver son trop plein. C'eût été un matelot ordinaire, le capitaine ne l'aurait pas attendu, mais sa science du chenal était telle qu'il envoyait des hommes à sa recherche, ce qui parfois, prenait des heures précieuses.

    N'en pouvant plus, le capitaine, homme avisé et ayant le bon sens des gens de Loire considéra le problème posément. Il connaissait en Berry un «jeteux » de sort, un mauveuseur, un sorcier qui avait plus d'un maléfice dans sa besace. Il lui expliqua bien plus vite que moi ce qui le souciait. Il n'avait pas besoin de mettre les formes, le berrichon était de ces hommes avec lesquels on n'a pas envie de s'attarder en paroles.

    Après quelques incantations, deux ou trois crachats et des pratiques incertaines, le Jean Cou tendit une bouteille d'Or au capitaine. Celui-ci fut très surpris de cette offrande. C'était justement la source de ses maux et voilà que le sorcier voulait soigner le mal par le mal. Mais on doit pas contrarier les forces obscures, en homme avisé, notre marin le savait bien.

    C'est alors que le sorcier lui expliqua que cette bouteille d'Or avait un pouvoir maléfique. Quand on la faisait rouler sur elle-même en la posant à même le sol, le goulot pointait toujours en direction de la Loire. Ainsi donc, le pauvre Fils de Galarne retrouverait son chemin en dépit de son état. C'était bien le souhait qu'on lui avait demandé d'exaucer !

    La bouteille fit des merveilles et depuis ce jour, Fils de Galarne rentrait au bateau. Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur son état mais dès le lendemain, quand on larguait les amarres, il était frais comme un gardon et remplissait sa mission avec la même conviction qu'il vidait les flacons le soir d'avant. Bientôt, sur les rives de Loire, on parla beaucoup de cette bouteille mystérieuse, elle faisait bien des envieux qui avaient tout comme Fils de Galarne quelque soucis d'orientation après libation.

    Quand Fils de Galarne fut emporté d'une incompréhensible embolie, il y avait bien des candidats pour hériter de la précieuse amulette.  On organisa dans le pays une grande course sur la rivière, de Sancerre à Chinon, les plus hardis se lancèrent à la descente du fleuve chevauchant chacun sa barrique. C'est celui qui eut la meilleure descente qui fut récompensé comme il se doit.

    La marine de Loire périclité, les mariniers disparurent et les tavernes fermèrent les unes après les autres. De la bouteille d'Or, on n'entendit plus jamais parler. Pourtant, il se murmure qu'elle a fait sa réapparition, quelque part sur un quai de Loire. Il y a une auberge où le flacon mystérieux trône à la place d'honneur. Il se murmure, voudrez-vous me croire, qu'après une soirée bien arrosée, il suffit d'embrasser le cul de cette belle bouteille pour bénéficier de la clémence du diable.

    Celui qui a effectué ce rituel peut rentrer tranquille ! S'il croise sur sa route de zélés gabelous des temps modernes, il peut sans crainte souffler dans leur étrange petite pipette délatrice, elle ne changera pas de couleur. J'ai une fois constaté de mes propres yeux ce miracle douteux. Un garçon qui avait bu quelques verres échappa à la colère légitime de la maréchaussée. Comme on le dit souvent dans le pays, il n'y a de chance que pour les ivrognes. Si en prime, des diableries se mêlent à la chose, il n'y a pas de quoi en être fier !

    Bacchanalement vôtre.




mardi 22 mai 2018

La foire primée.


Un tour de cochon.



Il était une fois une ferme dans les bois sur les hauts de Sully-sur-Loire. La terre n’était guère favorable à la culture : elle était acide, couverte de fougères et de châtaigniers. Les sols produisaient tout juste de quoi nourrir les gens et les bêtes. On avait pourtant compris le parti qu’on pouvait tirer d’un pareil environnement en engraissant les meilleurs cochons de toute la région.

C’était surtout madame Courtois qui se chargeait de la besogne : préparer chaque jour une bouillie riche et variée, faite de tout ce qui pouvait se manger. Le cochon est le roi des omnivores, il fait gueule de tout ce qui lui passe sous le groin. Quand en plus, on y ajoute châtaignes et noisettes, mûres et baies sauvages, sa chair se parfume et prend mille et une nuances qui enchantaient les gourmands de l’époque.

La pauvre dame avait bien du mérite. Son mari n’était pas souvent à l’ouvrage ; du moins à celui qui devrait occuper un homme honnête. Il avait la fâcheuse habitude de courir le jupon, de coiffer de cornes la tête des hommes du canton, pour peu qu’ils aient une femme à son goût. Partout il se murmurait qu’il n’y avait pas plus beaux cochons que ceux de madame Courtois et pas plus cochon que son maudit époux.

Les malheurs des uns ne font jamais qu’entretenir la médisance des autres. En la circonstance, les maris grugés évitaient de crier sur tous les toits les travers que leur faisait subir l’ignoble vaurien. Les femmes trop volages ne s’en vantaient pas plus. Elles apprenaient bien vite que leur larron pour beau parleur et formidable étalon qu’il fût, n’était qu’un cœur d'artichaut et changeait de pouliche à la première occasion.

Une fois l’an, à Sully, il y avait une foire primée et chaque mois, un marché aux cochons. La place était alors la « Mecque » de la truie et du verrat. On accourait de partout pour acheter les meilleurs reproducteurs, les plus jolis cochons de lait, les meilleures mères. Mais jamais, ô grand jamais, on n’avait encore songé à organiser un concours du plus beau cochon. Ce fut, cette année-là, chose faite à l’initiative de Monsieur le Sénateur, un notable de la ville, amateur de bonne chère et par conséquent de bonne chair,

Le concours fut annoncé une année à l’avance, il fallait que chacun puisse se lancer dans la préparation du plus beau spécimen : un champion du lard élevé dans les meilleures conditions, nourri des mets les plus riches qui soient. Quand ce concours fut connu, beaucoup se gaussèrent de l’idée tout en se lançant dans le plus grand secret à l’engraissage, le plus fastueux possible, d’un goret choyé comme un coq en pâte.

Chez les Courtois, monsieur se soucia comme de sa dernière liquette de la fièvre qui gagnait ses collègues éleveurs. Lui, à franchement parler, n’avait jamais considéré le cochon comme un animal digne d’intérêt. Il avait pourtant une tendresse particulière pour les truies : on ne se refait pas ! C’est donc sa femme, en cachette de son coureur de bonhomme, qui se mit en tête d’être celle qui emporterait le trophée mis en jeu. C’était enfin pour elle une occasion de briller pour autre chose que la terrible réputation qui collait à ses basques.

Elle fit tant et si bien que son champion : un certain Duduche, grossit comme jamais un cochon n’avait grossi dans le pays. Il était gros à ne plus pouvoir se tourner dans sa souille ; ses cuisses promettaient des jambons énormes. Pour lui éviter de ne faire que du lard, madame Courtois prit l’habitude de le promener en laisse, deux fois par jour, pour raffermir les chairs et lui ouvrir un peu plus l’appétit.

Sa ferme était assez isolée pour que nul ne se moquât de ses pratiques. Elles auraient éveillé la curiosité et sans doute l’imitation chez quelques adversaires, tout aussi désireux d’emporter la victoire. La compétition provoque des jalousies, des suspicions et des risques de triche. Rien n’est nouveau sous le soleil. Son Duduche avait fière allure : jamais elle n’avait connu un verrat aussi trapu, aussi bien charpenté, au port de tête si altier et aux oreilles à faire pâlir un éléphanteau.

La date fatidique approchait. Chacun s'apprêtait à nettoyer son champion, à lui rendre allure présentable et soie aussi rose que possible. Madame Courtois décida de le faire dormir dans l’arrière- cuisine pour qu’il cesse de se souiller. Le cochon est un sacré lascar, capable de se rouler dans la fange ; il parait même qu’il y prend du plaisir. En cela aussi, il ressemble à son homologue qui se tient debout sur ses pattes postérieures !

 
Le drame se noua donc dans la maison même. Duduche se trouva-t-il incommodé de quitter son palais, son auge et sa paille ou bien fut-il simplement victime d’une crise cardiaque comme cela survient à tout animal en situation de surpoids ? On ne le saura jamais, on ne pratique pas l’autopsie en pareille circonstance et à la veille du concours, il fut trouvé raide mort par la pauvre femme. Le coup pour elle manqua d’être fatal.

Elle était à se lamenter et à pleurer sur le corps de celui en qui elle fondait ses espoirs de revanche sur une existence qu’elle ne souhaitait pas même à sa pire ennemie quand Monsieur le Sénateur en personne, passa la voir, poussé par la curiosité, née des bruits qui avait circulé dans le village. L’homme, en bon politique qu’il était, trouva les mots pour réconforter la malheureuse et lui glissa une idée dans le creux de l’oreille. Cela eut l’air de convaincre la fermière qui se mit immédiatement en besogne.

En moins de vingt-quatre heures, elle fit tant et si bien que Duduche était en mesure de se présenter à la foire primée, non pas sur ses quatre pattes mais sous forme de pâtés, rillettes, boudin, andouilles, saucisses, travers, côtelettes, rillons, fritons, tête et oreilles, queue et abats sans oublier des rouelles majestueuses et des jambonneaux de compétition. Elle rangea le fruit de son dur labeur dans une grande remorque ; Duduche n’avait pas été avare de charcuterie et de viande.

Elle demanda à son mari, le sieur Courtois en personne, de tirer la remorque. D’après l’organisateur, il n’avait pas été précisé que le compétiteur devait arriver vivant. En fait de quoi l’élu, en vieux roublard, avait conçu un plan machiavélique dont il avait eu la sagesse de ne pas informer la trop gentille femme. Comme il était président du jury, il se promettait bien du plaisir …

Le jour de la foire primée, chacun arriva avec son héros au bout, qui d’une longe, qui de la chaîne du chien, qui d’un long ruban chamarré. Les bêtes étaient propres comme jamais on n’avait pu observer des cochons de la sorte. Seul monsieur Courtois tirant sa remorque détonnait dans le décor. La foule était amassée devant le jury et s’exclamait au passage des cochons. Monsieur Courtois connut quant à lui un véritable triomphe ; il faut avouer que sa remorque embaumait et que chacun appréciait en connaisseur les morceaux ainsi exposés.

Quand le défilé se fut achevé, Monsieur le Sénateur se leva, l’air grave et pénétré de l’importance du moment. Il tint un discours, vanta la qualité du travail des uns et des autres, la richesse de l'élevage local, la conscience professionnelle des fermiers du Sullyas. Il trouva les mots justes qui émurent toute l’assistance et fit honneur à la race porcine. Le moment était venu de proclamer le vainqueur.

Dans un silence de cathédrale, le notable ménagea le suspense. « À l’unanimité du jury, dit-il de manière sentencieuse, le verrat, lauréat de la première foire primée du cochon est » …, il se tut de longues secondes pour faire monter la tension qui était déjà palpable depuis le début du défilé, « pour l’ensemble de ses œuvres, Monsieur Courtois, cochon hors catégorie ».

Et là ce fut un énorme éclat de rire, le Sénateur descendit de son estrade et agrafa une cocarde tricolore sur la braguette d’un fermier, rouge pivoine, incapable d’esquisser le moindre geste ni la plus petite protestation. Dans l’assistance, les maris cocufiés par le bougre, les femmes trop vite délaissées et même, madame Courtois en personne se tordaient de rire en se tenant les côtes. Jamais on ne vécut plus belle fête à Sully-sur-Loire que ce jour mémorable de la première foire primée. Par la suite, on prit l’habitude de récompenser les vaches : le risque de confusion étant moins grand pourvu qu’elles ne viennent pas sous la seule forme d’une peau.

Monsieur le Sénateur sortit grandi de la farce. Il fut triomphalement réélu et des sonneurs créèrent en son honneur une sonnerie pour l’hallali d’un Grand dix-cors. Monsieur Courtois quant à lui retint la leçon. La publicité que ses frasques venaient de recevoir ainsi en public l'incita, à tout jamais, à la plus stricte fidélité. Sa femme, bonne pâte, continua de l’appeler « Mon cochon ! » dans le secret de leurs ébats. Elle avait le pardon facile et savait la chair faible aussi bien crue que cuite !

Adultèrement sien.


lundi 21 mai 2018

Pour quelques bulles dans l'eau !



Ne pas prendre les vessies pour des badernes …



Il était une fois une petite fille des bords de Loire. Elle avait grandi au pied de la rivière, son terrain de jeu et d'aventure. Entourée d'une troupe de garçons, elle s'était prise à leurs jeux sans se soucier de ceux de ses homologues en jupe. On disait d'elle alors qu'elle était un garçon manqué, même si elle avait tout pour affirmer une féminité que remarqueraient les garçons plus tard.

Marie, puisque tel était son nom, aimait à pêcher à la barbote, participer aux concours de lancer de cailloux ou bien faire des ricochets. Les poupées, elle les laissait à ses petites camarades ; elle, c'était la nature qui était son domaine. Petite sauvageonne pour les uns, enfant des bois et des berges pour les autres, chacun s'amusait pourtant de connaître sa plus grande frustration.

Marie n'était pas tout à fait comme ses compagnons d'aventure. Ses frères et leurs copains avaient un jeu qui lui était impossible. Non que ses parents lui missent des bâtons dans les roues : ils n'étaient pas de ceux qui éduquent les enfants à coups de défenses et d'interdictions. Non, la chose était bien plus banale et somme toute plus triviale.

Marie ne pouvait se joindre à eux quand, d'un jet, qu'ils pensaient puissant et libérateur, ils urinaient dans la Loire. C'était à qui enverrait son urine le plus loin tout en tenant le plus longtemps. Et tous de s'extasier devant les bulles qu'ils faisaient dans l'eau : un bonheur que chaque Ligérien mâle a un jour, au moins, expérimenté.

Marie était privée de ce bonheur simple et sensuel. Elle devinait bien que la nature lui avait joué un vilain tour en l'obligeant à baisser culotte et se cacher derrière un bosquet quand ses frères restaient debout, le nez au vent et le jet en pleine gloire. Elle s'était juré qu'elle aurait sa revanche et qu'elle initierait ses enfants à ce petit jeu sans conséquence.

La nature est parfois très décevante et Marie n'eut que des filles. Elle dut ronger son frein et leur enseigner l'amour du fleuve et des escapades auprès de celui-ci. Elle n'était pas certaine que le message passât aussi bien qu'elle le désirait. Ses filles n'avaient pas de frères pour les entraîner sur les chemins de la rivière et déjà les autres enfants préféraient la télévision à la liberté de la pleine nature.

Le temps passa, Marie avait enfoui dans sa mémoire cette frustration profondément ancrée en elle mais qu'aucun psychologue n' eût considérée sérieusement. Elle avait dû faire avec ce manque, cette castration symbolique qui l'avait faite telle qu'elle était maintenant. Il y a sans doute bien plus grave frustration, traumatisme plus redoutable que cette impossibilité de faire des bulles dans la Loire d'un jet d'urine libérateur et glorieux.

C'est sa fille aînée qui lui offrit ce bonheur rare de devenir grand-mère d'un petit diable : un garçon avec tout le nécessaire entre les jambes pour arroser la rivière comme il fallait. Marie aimait à promener son petit-fils le long de notre Loire. Sa demeure étant juste sur la levée, il lui était facile d'y promener la prunelle de ses yeux !

C'est lors de l'une de ces promenades que le petit dit fièrement à sa mamie : «  Manoune, je sais maintenant faire pipi debout ! » Pour tout autre grand-mère, la nouvelle n'eût pas provoqué un raz-de-marée d'émotions et de fierté mais pour Marie, il en allait tout autrement. Elle sentit ressurgir en elle ce qu'elle avait enfoui si longtemps.

Marie s'empressa d'expliquer à l'enfant qu'il pouvait désormais faire des bulles dans la Loire, que rien n'était plus facile pour un garçon. L'enfant la regarda, interloqué, mais ne chercha pas à comprendre les propos énigmatiques de sa chère vieille Manoune. Ils continuèrent tous deux leur promenade jusqu'à ce que l'enfant se mette à danser la danse de Saint Guy en allant d'une jambe à l'autre.

Marie, sans doute un peu retorse sur le coup, saisit la perche au bond pour expliquer enfin au gamin ce qu'il en retournait exactement de son affirmation précédente. Le petit s'exécuta, défit fièrement sa braguette et tel la petite statue bruxelloise, honora la Loire de son jet clairet. Il était impossible de savoir lequel des deux était le plus heureux. L'enfant de découvrir la puissance de ce plaisir intime, la grand-mère de se rappeler ses années d'enfance …

Tout aurait pu en rester là. Les deux complices rentrèrent dans la belle demeure en front de Loire. Les parents, qui ne supportaient pas les promenades sur des chemins boueux, exposés au vent et à la vacuité d'un tel exercice, s'impatientaient. Ils demandèrent ce qu'il leur était arrivé pour qu'ils mettent aussi longtemps ce jour-là. L'enfant éventa le secret, pensant bien faire et n'imaginant pas le coup de vent contraire qu'il allait déclencher.

Ce fut un drame, un scandale. Les parents, nourris au lait de la modernité urbaine, prétendument civilisée, s'insurgèrent d'une pratique indigne de gens bien élevés. Ils tancèrent la grand-mère, lui interdisant désormais d'emmener son petit-fils le long d'une rivière dont partout on disait tant de mal car dangereuse, capricieuse et imprévisible. Non seulement elle le mettait en danger mais de plus, elle l'initiait à des rituels tribaux, grossiers et indécents.

Marie en fut pour ses frais. La vieille baderne c'était son gendre : un garçon qui n'avait jamais dû mettre ses pas dans ceux d'un amoureux de la Loire. Homme trop important, imbu de sa personne, il devait être affublé d'une vessie bien terne pour ne jamais arroser fièrement le fil de l'eau. Que sa fille puisse être de l'avis de ce malotru : voilà qui la navrait encore plus. Décidément, la malédiction des bulles dans la Loire, la poursuivrait toujours.

Urinement sien.

Souffler n’est pas jouer

Sur un air d’accordéon Fabre, en bon forgeron qu'il était, disposait d’un soufflet gigantesque qu’il fallait actionner avec une lo...