samedi 31 mars 2018

Cloche et œufs en question


Il y a quelque chose qui cloche ...



Peut-on mettre le fromage sous cloche le vendredi saint ?
Les œufs brouillés se réconcilient-ils le jour de Pâques ?
Une cloche fêlée a-t-elle le bourdon ?
L'œuf poché est-il percé ?
Connaissez-vous le proverbe anglais : œufs au bacon, Pâques aux grisons ?

Comment se faire sonner les cloches durant la passion ?
Jésus Christ se sentit-il chocolat sur sa croix ?
Peut-on sauter à cloche-pied sur des œufs mollets ?
Pour l'angélus, faut-il frapper sur la cloche avec un maillet ?
Le coq se demande bien où se cache la poule dans le clocher ?

La poule aux œufs dort-elle avant que les cloches ne sonnent ?
À trop couver ses œufs, la poule gâte-t-elle ses poussins ?
Les œufs en neige peuvent-ils être fondus pour faire des cloches ?
Peut-on se taper la cloche de bois avec la gueule de ladite matière,
Une tête d'œuf peut-elle avoir une face de carême ?

Est-il plus facile de gober ses salades que d'avaler un œuf cru ?
L'œuf en gelée est-il forcément frais ?
Chez Lustucru, peut-on faire ses Pâques avec des œufs fêlés ?
Un clochard peut-il dormir les bras en croix lors du week-end pascal ?
À Pâques doit-on marcher sur des œufs à cloche pied ?

Qui sonne le tocsin quand la fouine entre dans le poulailler ?
Le sanglier aime-t-il les œufs aux laies ?
Le carillon est-il une cloche qui a mal tourné ?
Faut-il sonner la messe pour fouler tous ses œufs dans le même panier ?
Peut-on monter en épingle les œufs mayonnaise ?

Un œuf dur de la feuille entend-il le chant du coq ?
Les alouettes pondent-elles des œufs miroir ?
Peut-on mettre des pieds avec des œufs de perdrix sur le plat ?
Sonne-t-on le glas quand on veut tuer une idée dans l'œuf ?
Qui sonne les cloches à la volée, vole-t-il aussi un bœuf ?

Un crâne d'œuf peut-il avoir un œuf de pigeon ?
La fée clochette savait-elle écaler les œufs ?
L'œuf et la cloche sortent-ils du même moule ?
Peut-on mirer un œuf admirable ?
Un œuf à repriser a-t-il des cors au pied ?

Quand l'œuf va-t-il enfin sortir de sa coquille ?
L'œuf de mulet provient-il de la crèche ?
Comment battre des œufs qui n'ont rien fait de mal ?
Des œufs qui se divisent ! Y-a-t-il quelque chose qui cloche ?
Peut-on faire une omelette sans ailes ?

Un bœuf peut-il se faire faire le blanc de l'œil s'il a le teint jaune ?
Un œuf peut-il passer pour un jaune dans une grève sur le tas de fumier ?
Est-ce que la cloche bêle ?
Une cloche peut-elle se faire tirer les oreilles ?
Mais pourquoi la cocotte-minute a-t-elle un sifflet plutôt qu'une cloche ?

Pascalement vôtre


Les belles louves.



Le musicien de Cinq-Mars-la-Pile



À Cinq-Mars une tour antique domine la Loire, immense phallus de brique, érigé fièrement au-dessus de la rivière. Elle est là depuis des temps immémoriaux et son état de conservation tient lieu du miracle. La belle construction se dresse à plus de trente mètres de hauteur. Elle eut l’honneur d’être citée par Rabelais, homme de goût, prompt à raconter des histoires. Je ne sais si celle que je vais vous narrer vient de lui. Qu’importe, il suffit de vous laisser porter par le récit !

Il était une fois, au pied de la belle tour, un chemin qui conduisait vers un carrefour qu’on n’avait pas pris la peine de nommer. On s’interrogeait sur l’origine de ce nom étrange, d’autant que bien des phénomènes mystérieux étaient associés à l’endroit. On le disait hanté par des esprits malins, des elfes et des lutins. Personne ne s’y aventurait la nuit. Les gens d’alors étaient superstitieux.
C’est pourtant à la nuit tombante qu’un musicien, un ménestrel qui allait de château en château, n’étant pas homme à reculer devant les histoires de bonnes femmes et les manifestations douteuses de la crédulité des hommes, emprunta ce chemin pour se rendre à Langeais, en dépit des mises en garde multiples qu’il avait reçues des gens du pays.

L’homme allait, son psaltérion en bandoulière. Il marchait d’un bon pas, chantonnait, tout occupé qu’il était à la création d’une chanson de geste qu’il allait proposer au seigneur de Langeais. Il avait l’esprit rêveur, il était question dans son récit de quatre belles demoiselles, vêtues de blanc et aux mœurs aussi légères que leur tenue. Il faut reconnaître que notre homme avait sans doute quelques démangeaisons intimes : sa vie amoureuse n’étant pas des plus florissantes.

Il allait conclure mentalement avec l’une des donzelles quand il arriva au carrefour sans nom. Le ménestrel chantonnait à haute voix, lui qui pensait être seul, son récit prenait forme et il s’accordait le beau rôle avec jubilation et envie. Quand soudain, il tressaillit : une belle, telle que la décrivait sa chanson, apparut devant lui.

Elle était plus belle encore qu’il n’avait pu l’imaginer. Elle laissait transparaître un sein merveilleux qui s’offrait à son admiration, sa chevelure flottait au vent. Sa blancheur contrastait avec la nuit qui s’installait progressivement sur la vallée. Notre musicien resta bouche bée. Jamais il n’avait vu apparition plus splendide.

Il n’était pas au bout de ses surprises car trois autres beautés surgirent de nulle part ; plus attirantes les unes que les autres. Après des semaines d'abstinence, notre pauvre musicien en perdait la raison. Il ne savait plus où poser son regard concupiscent. L’une avait des fesses à vous damner, l’autre des proportions qui en faisaient une statue antique, la troisième un sourire à vous faire fondre et les seins de la première avaient d'emblée subjugué le ménestrel.

Ses yeux sortaient de leurs orbites, ses cheveux se dressaient sur son crâne, il se sentait pris de frissons et de bouffées de chaleur dans le même temps. Il se comportait de bien étrange manière, il bavait, écumait, avait la langue pendante et n’aurait rien eu à envier au loup de Tex Avery s’il avait eu le bonheur de le connaître. Je tairai, par décence, les modifications morphologiques qui accompagnaient ces manifestations plus visibles, quoiqu’à bien le regarder, les quatre nymphettes n’eussent aucun doute quant à l’effet qu’elles produisaient sur le bonhomme.

Il y avait diablerie dans ces apparitions en dépit du regard angélique des donzelles. Le ménestrel allait défaillir quand la plus jeune prit la parole d’une voix à vous damner. « Beau musicien, fais-nous danser toute la nuit. De ton instrument, enchante nos âmes, réjouis nos cœurs et, au petit matin, tu auras la plus belle récompense que tu puisses rêver ! »

Le Ménestrel ne se fit pas prier. Il avait une petite idée et une grande envie de la récompense suggérée. Il joua de son psaltérion-une cithare qui avait un cœur percé en son centre- avec une inspiration sublime. Les belles faisaient rondes et ballets autour de lui, lui susurraient des mots tendres, lui octroyaient œillades et baisers envoyés à la volée.

Plus elles aguichaient le musicien, plus sa mélodie se faisait gracieuse et plus le pauvre homme bouillait d’impatience et de désir. Les belles se faisaient lascives. Elles laissaient de plus en plus entrevoir des peaux diaphanes et des merveilles de courbes et de rondeurs. Jamais on n’entendit plus belle musique sur les bords de Loire, jamais on ne vit danses plus torrides.

Puis le jour se leva, la récompense du Ménestrel était proche. Son cœur battait la chamade, il avait les doigts tout usés d’avoir ainsi joué une nuit entière sans interruption. Il venait de vivre la plus belle de ses nuits, il pensait toucher le Graal et jouir sans retenue des belles danseuses quand soudain, à l’instant même où l’astre solaire faisait son apparition sur la Loire, les danseuses se métamorphosèrent en louves. Elles filèrent bien vite et pénétrèrent dans une grotte creusée dans le tuffeau.

Le pauvre ménestrel ne put supporter ce mauvais coup du sort. Il avait tant espéré, que la rouerie des diablesses le mit au désespoir. Il détacha une à une les cordes de sa cithare, les noua entre elles et choisit un chêne vénérable. Il se pendit dans l’instant, sans signe de croix ni la moindre prière pour sauver son âme. Les soubresauts de la mort furent accompagnés d’une éjaculation somptueuse et magistrale.

Dans l’instant même où la semence du défunt toucha le sol, un bouquet de mandragores sortit de terre et le pauvre garçon se transforma en loup. Ainsi l’endroit fut-il nommé : « le Carrefour du Loup pendu ». On attribue bien des vertus magiques à la mandragore et on laissa la dépouille du loup pourrir sur son arbre.

Depuis, il se murmura longtemps dans la région qu’il y avait, chaque nuit, grand sabbat dans la grotte à flanc de vallée. Quatre louves et un vieux mâle faisaient sarabande amoureuse au son mystérieux d’un instrument à cordes, venu d’on ne sait où. Ainsi se répandent les légendes qui aiment à voyager au fil du courant …

Mélodieusement leur.


jeudi 29 mars 2018

La mirifique histoire de l'œuf de Pâques.



La coquille vide ….


Il est ici bien inutile de savoir qui de l'œuf ou de la poule en chocolat a entamé cette mirifique histoire qui engraisse autant les chocolatiers de notre pays de bombance que les gourmands de tous poils et de tous âges, ravis de se moquer ce jour-là de la volaille et du fruit de ses entrailles. Il suffit de comprendre que nul coq n'a baigné dans l'aventure pour réaliser en fait que la chose a été créée de toute pièce et je me fais fort de vous la servir sans coquille.

Depuis l'antiquité, l'œuf décoré avec amour et fantaisie célèbre le retour du Printemps. Les poules furent en cette occasion les dindons de la célébration. Elles livrèrent bataille mémorable à ces pauvres moutons qui jouèrent eux aussi bien souvent le rôle de la victime si commode. Pour la fable que je vais vous conter, tout se passa il y a bien longtemps, bien loin d'ici … J'espère que vous goberez mon histoire sans vous étouffer .…

Or donc, en ce temps et en ce pays là, de braves moutons en avaient assez d'être les seules victimes expiatoires de ces fêtes calotines ! Il est d'ailleurs étrange que l'on célèbre la vie par la mort de quelques milliers de pauvres ovins de substitution. La supercherie, pour eux, n'avait que trop duré puisque ce sont les agneaux qui devaient remplacer au pied levé, le bouc, trop occupé à reconstituer des stocks si mis à mal par toutes les hécatombes promulguées au nom des obédiences monothéistes.

L'agneau, quoique de lait, aimait à se nourrir d'un bon chocolat éponyme (Imputons à son jeune son jeune âge ce manque évident de goût). Pour incroyable que cela paraisse, il se trouve que dans ces élevages coupés du monde, la pratique était avérée. Les historiens se perdent en conjectures mais ne remettent pas en cause la fable. Il est vrai que sous d'autres cieux, des écureuils se targuèrent de semer des noisettes dans leurs tablettes surnuméraires et qu'il existe encore une contrée où des vaches mauves baignent dans une étrange affaire chocolatée ! Tout est donc possible au pays des songes….

C'est dans un élevage de l'île de Pâques (puisqu'il faut situer l'anecdote, n'ayons crainte de fouler les territoires les plus improbables) qu'une fermière avait l'habitude de mouler à la louche son fromage frais d'agnelle. Un agneau facétieux et amateur de calembours et autres calembredaines de mots distordus modifia l'ordre des consonnes initiales et loucha sur un moule. On peut prétendre que l'approximation soit tirée par les cheveux, mais rassurez-vous, l'agneau venait d'être tondu pour avoir folâtré avec un berger Germain !

Le moule en question avait une forme oblongue rappelant étrangement un petit ballon de Rugby. Comme ce sport était alors parfaitement inconnu en cette île Pacifique, leurs lointains voisins Fidjiens prétendirent y voir la forme d'un œuf. Constatez que l'histoire tient à peu de chose et que le destin se joue de bien des ironies. À Noël les marrons, à Pâques les ballons de Rugby ! Le Pacifique se fit ainsi Ovale et les gars de là-bas devinrent des sportifs redoutables. Mais ceci est une toute autre histoire ...

C'est naturellement dans l'unique jardin d'un couple de grands-parents aimants que furent dispersés les petits œufs de chocolat pour que des bambins se prennent pour des explorateurs aventureux … Semé dans cette minuscule enclos, l'œuf ainsi moulé de bon lait d'agnelle et de chocolat à l'origine inconnue, attendit longtemps l'arrivée d'un ecclésiastique en mission sacrée pour se répandre à travers le monde.

Il se trouve qu'un jour, de manière fortuite, un bon père blanc, voyant les marmots à quatre pattes fut bien vite attiré par la scène. Ne cherchons pas à épiloguer sur ses motivations réelles, il est plus conforme à la morale chrétienne d'espérer que ce saint homme aimât lui aussi le chocolat. Ne sachant où donner de la tête, il fut transporté d'aise et se promit de revenir en France avec cette belle tradition sous sa soutane.

C'est naturellement par la Loire que la nouvelle se répandit dans notre pays. Depuis quelques années déjà, les chalands transportaient la canne à sucre et le cacao vers Blois et Orléans. Ces deux villes devinrent des plaques tournantes du chocolat gourmand. Les commerçants avisés, ne voulant mettre tous les œufs dans le même panier, créèrent bien vite la poule en chocolat pour accréditer l'idée que l'œuf vient toujours de celle-ci.

Les années passèrent, le petit commerce Pascal fit des émules à travers tous le pays. Mais toujours à la pointe de l'innovation, un chocolatier Abraysien, en visite à la fonderie Bollée eut l'idée merveilleuse de fondre le chocolat dans un moule à cloche. Ne cherchons pas à comprendre les arcanes de ce raisonnement spécieux, la cloche resta silencieuse mais fit grand bruit dans le monde des gourmands.

Ainsi est né l'œuf de Pâques et le Christ ressuscita nous dit-on, pour profiter de cette belle gourmandise. (Nous ne sommes pas à un anachronisme ni une fantaisie près) Il me plaît à croire que cette histoire est vraie, quoique de chocolat, je ne mange guère ! Quand aux marrons de Noël, ils furent bien vite remplacés par des crottes, vous comprenez aisément pourquoi. Le filon était bon, il fallait pousser la bonne affaire plus loin et profiter du moule tant qu'il est encore chaud… Le mouton pensait s'en tirer à bon compte, la gourmandise, hélas, le rattrapa encore. Voyez-vous, en cette belle période gourmande, c'est : « viande et dessert » !

Anachroniquement leur

https://www.francebleu.fr/infos/societe/dans-la-loire-le-chocolat-c-est-tout-une-histoire-1522259746

Mes jolies colonies de vacances.



Un temps révolu, semble-t-il.



La lecture d’un curieux roman dont un chapitre traite justement de tels souvenirs d’une façon sans doute beaucoup plus elliptique m’a poussé à replonger dans le temps béni de nos jolies colonies de vacances. C’était en un temps lointain où les réglementations ne faisaient pas de cette formidable proposition de départ, un casse-tête administratif qui a eu pour effet de transformer ce loisir populaire en une proposition pour public privilégié.

En ce temps-là, la volonté d’une seule personne pouvait permettre de mettre sur pied une formidable aventure collective, bon marché et ouverte à tous. Dans mon village d’en-France, c’est la sœur Vincent qui était la cheville ouvrière de mes premières colonies. Je m’en souviens encore comme si c’était hier avec une douce nostalgie et une admiration sans borne pour cette femme à la poigne de fer et à la volonté inébranlable.

Nous étions minots, nous partions pour la première fois de chez nos parents. Nous nous retrouvions tous, les enfants d’ouvriers, les fils de commerçants, les filles d’employées, les orphelins ou les gamins des cités, sans distinction aucune et dans un formidable mélange qui faisait se retrouver ici ceux de l’école publique et ceux de l’école Jeanne D’arc que dirigeait la bonne dame. La mixité sociale avant qu’on en parle car à cette époque, cela semblait une évidence.

Nous partions avec la compagnie de cars sullyloise qui allait se fracasser quelques années plus tard dans un accident qui laisse à jamais les mémoires locales meurtries. C’était encore le temps de l'insouciance et des trajets épiques pour gagner les Alpes. Nous, les enfants de Loire, partions à la rencontre du relief et nous allions en prendre plein les yeux. Plusieurs années, notre havre de paix fut Longefoy-sur-Aime en Savoie.

Jeune normalien, c’est là-bas que j’encadrai ma première classe de neige, manière sans doute de rendre un peu tout l’amour qu’on m’avait donné. Ce furent alors des séjours épiques, des balades folles, des soirées qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire. Les moniteurs n’étaient que des jeunes gens dont très peu étaient formés mais qui avaient tous l’envie de bien faire. L’esprit de famille régnait ainsi dans la joie et la bonne humeur.

La sœur Vincent, avec l’appui du très haut sans doute, passa au travers de toutes les chausse-trappes et incidents qui émaillent parfois de tels centres. Nous passâmes c’est certain, quelques fois, tout près de l’irréparable, surpris par un orage d’une rare violence dans les estives, égarés dans une forêt sombre et inhospitalière, glissant sur des pentes incertaines et rocailleuses, …, mais au bout du compte, une bonne fée devait veiller sur nous.

Nous grandissions, la sœur voulut sans doute trouver local plus en conformité avec les exigences croissantes d’une époque qui avait déclaré l’enfant roi après 1968. C’est en Suisse que nous partîmes, toujours dans les Alpes. Le confort y était tout autre, les conditions d’hébergement plus en rapport avec les règles qui pointaient le bout de leur nez. Nous les plus vieux qui avions droit à la tente, nous n’avions vu guère de changement.

Les années avaient passé, nous étions de jeunes adolescents qui trouvèrent avec l’abbé Philippe le prolongement naturel des colonies de la bonne sœur. Nous passions un cap, une frontière supplémentaire, plongeant au cœur de la forêt noire pour découvrir les joies et des tracas du camp à la dure. Que de souvenirs encore, que de péripéties et de transgressions qui n’ont pas leur place ici. C’est cependant ainsi que l’on devient un adulte, par cette accumulation d’expériences auxquelles je dois beaucoup dans le futur choix de mon métier d’enseignant.

C’est ainsi que nous achevâmes cette formation par deux camps en totale autogestion sous le seul regard bienveillant des abbés Philippe et René. La religion n’avait guère sa place dans nos turpitudes et un de nos deux « encadrants » finit même pas épouser l’une de nos camarades. C’est vous dire s’il y avait du relâchement dans la règle. Les vacances suivantes, je n’avais pas encore seize ans et j’avais passé l’âge de ces camps. C’est donc en tant que plongeur que je partis pour une colonie des œuvres universitaires. La première étape avant que de passer totalement de l’autre côté et de devenir à mon tour un moniteur, diplômé cette fois car la législation avançait à grand pas.

Les temps avaient changé aussi. Je découvris des publics déshérités, des centres qui manquaient de tout avec des gamins difficiles et exigeants. Je n’étais pas au bout de mes surprises en la matière, j’encadrai aussi des colonies pour de grands comités d’entreprise disposant d’un luxe sans égal d’installations et d'activités pour des colons plus que jamais insatisfaits.

Longtemps, j’ai prolongé ces moments bénis de l’enfance en étant moniteur lors d’un de mes mois de grandes vacances. C’était un luxe et un avantage que m’autorisait mon métier. C’était également une nécessité pour moi, un besoin de véritablement comprendre les enfants. Je n’aurais jamais imaginé devenir enseignant sans être passé par cette formation indispensable à mes yeux de l’encadrement de colonies de vacances.

Depuis, les choses ont bien changé. Nombreux sont les nouveaux professeurs qui ne sont jamais passés par cette formidable école de la vie. Qu’en penser ? J’ai naturellement mon opinion sur ce sujet mais je ne veux pas prendre le risque une fois encore d’être traité de vieux con. Pourtant, je ne remercierai jamais assez la sœur Vincent pour m’avoir offert ainsi ce si bel apprentissage de la vie collective.

Aventureusement leur.


lundi 26 mars 2018

Le vieil homme et l'enfant.



Mes parties de pêche avec Monsieur Bagaud


Mes années d'enfance, avant d'atteindre l'âge d'aller vers la Loire où me poussait mon bon vouloir, je les passais en grande partie à pêcher dans les douves du château. Mes parents travaillaient à la boutique ; ils avaient un voisin, un retraité parisien qui avait acheté une vaste et vieille maison dans la rue Porte Berry, à deux pas de chez nous.

Monsieur Bagaud était pêcheur à la ligne comme ceux d'autrefois. Sous un grand chapeau de paille à larges bords , une belle allure d'homme fier et observateur, de grosses lunettes en écaille. Doté d' une patience au-delà de la normale, il avait une envie incroyable de m'initier à son passe-temps favori. Comme il avait tenu à la Capitale une droguerie où l'on vendait du matériel de pêche, l'homme possédait ainsi la parfaite panoplie du taquineur de bouchon, à l'exception de la grande caisse qui fait usage de boîte à pêche.

Il préférait un siège pliant avec accoudoir et dossier : un confort nécessaire et parfaitement solide puisque c'est mon père qui avait refait le coutil. Il pouvait donc s'y reposer tout à son aise sans risquer de passer à travers la toile rayée. Il n'hésitait pourtant pas, malgré son âge vénérable, à se lever fréquemment pour venir au secours de l'arcandier en culotte courte qui était installé à quelques mètres de lui et toujours du côté gauche. De ce mystère, je n'ai jamais su la raison …

Mais je vais trop vite en besogne ; la pêche est une chose trop sérieuse pour la confier aux gens pressés. L'aventure avait un rituel immuable. Très tôt le matin, je traversais le boulevard pour aller chercher un demi-pain de quatre livres : ce gros pain qui trônait alors sur les tables de ferme, plein d'une bonne et généreuse mie. Aux premiers coups de sept heures, je courais chez Boucard, acheter les précieux tickets donnant droit à une canne pour la journée.

Lorsque monsieur Bagaud arrivait, j'étais fin prêt, piaffant d'impatience pour cette nouvelle journée en bord de Sange, à l'ombre des tilleuls du parc. Nous allions toujours le plus au fond possible, à proximité des roseaux, loin du tumulte des pêcheurs occasionnels. Nous avancions lentement, chargés de tout notre attirail et du repas pour le midi.

Sur le chemin, je ne manquais pas de m'arrêter lorsque surgissait une belle taupinière, fraîchement remuée dans la nuit. Je remplissais mon seau bleu de cette terre légère afin de préparer l'amorce. Lorsque nous arrivions à notre emplacement immuable, j'émiettais le gros pain que je trempais d'un peu d'eau et mélangeais à la terre. Parfois, j'y ajoutais de la poudre d'arachide. Notre appât n'était pas bien onéreux et me semblait parfaitement miraculeux.

Pendant que je m'agitais ainsi à mes préparations culinaires, Monsieur Bagaud, je pense n'avoir jamais su son prénom, préparait minutieusement les cannes à pêche. La sienne était en fibre de verre-c'était l'une des premières de la sorte- télescopique et légère. La mienne était en bambou emboîté. Il me fallut attendre quelques années avant de l rejoindre mon co-équipier dans la technologie innovante.

C'est mon mentor qui lançait alors les grosses boules d'amorce. Il avait le geste sûr, la précision diabolique. Puis, nous nous mettions en batterie pour toute une journée de prises. Je pêchais à l'asticot et parfois au vers de terre. Mon voisin était un adepte du pain : une pratique qui me demeurerait à jamais inaccessible.

Je ne me rappelle plus quelles étaient nos conversations. Nous en avions pourtant ; je pense même que de toute la journée, nous ne cessions d'échanger de brèves remarques sur le vent, le soleil, les mouvements de l'onde, les traces de vie dans l'eau et quelques autres sujets qui n'étaient jamais épuisés au fil des jours. Nous parlions surtout des poissons : ceux que nous prenions, ceux que nous manquions. Le comportement du bouchon, la nature des touches étaient encore de vastes sujets d'inquiétude ...
Il y avait aussi ce petit jeu entre nous : ce concours en duo sur les prises. Monsieur Bagaud prenait la friture et parfois quelques brèmes quand j'étais le spécialiste du poisson-chat et de la perche franche. Pourquoi ? Je n'en sais rien. L'homme devait être équipé de manière moins grossière que moi et je pense que c'était nécessaire car j'étais alors un brise-fer redoutable. Qu'importe, la bourriche se remplissait et nous n'avions pas loisir de nous ennuyer.

Il y avait encore un moment que j'attendais avec une impatience toujours mêlée de curiosité et d'interrogation. Le passage du train sur le pont de chemin de fer donnait toujours lieu à un concert de sifflements aigus qui parvenait jusqu'à nous. Je n'ai jamais su quelles étaient les raisons du prodige qui ne manquait jamais d'accompagner cet instant. Mon bouchon s'enfonçait immanquablement et je sortais toujours un poisson de belle taille à ce moment-là.

Voilà un mystère qui en toute logique aurait dû me conduire à épouser les beaux métiers de la SNCF. Il se trouve que mon parcours a bifurqué et que j'ai pris d'autres aiguillages. La destinée est curieuse, n'est-ce pas ?
Les années suivantes j'atteignis enfin alors l'âge d'aller seul à bicyclette taquiner le goujon en Loire ainsi l'absence de Monsieur Bagaud ne me sembla-t-elle pas immédiatement un vide dont on ne guérit jamais.

Le vieil homme était cependant parti pour toujours ; sa maison était fermée. Il y avait d'ailleurs bien longtemps qu'elle n'était plus parée de la magie que lui conférait la possession de l'une des rares télévisions du village. Je vous parlerai sans doute une autre fois des soirées féeriques autour de la « Piste aux étoiles » ; pour l'heure, c'était mon vieux compagnon de pêche qui les avait rejointes, ces constellations, lui le magicien qui, en faisant découvrir le milieu liquide à un petit enfant, lui avait, à sa manière , permis de grandir ,

Patiemment mien.

dimanche 25 mars 2018

La Croix à Tibi


La vérité cachée …



Il était deux fois....mais commençons par la première comme il se doit ! Nous sommes sur les bords de Loire, entre Sully-sur-Loire et Chateauneuf, tout près de Guilly , dans ce lieu magnifique qu'on nomme « Bouteille ». Une tuilerie majestueuse domine la levée en un lieu où les eaux de la rivière s'engouffrent sous la terre pour donner naissance au Loiret, trente kilomètres plus loin.

Cette année- là, en 1812, la météo avait fait des siennes. Les bateaux allant sur la Loire, furent pris au piège d'un terrible embâcle. Je sais que beaucoup ignorent tout de ce mot dont seul le contraire, la débâcle, est resté dans les têtes et encore, dans son acception militaire, sportive ou économique. Les eaux de la Loire prises par les glaces, formaient de véritables montagnes qui enserraient les bateaux jusqu'à les écraser …

Louis Groslier, dit Tibi, de Saint-Thibault-sur-Cher est un marinier allant son train avec toute sa fortune embarquée sur son chaland et, quand la catastrophe survient, il est pris au piège comme ses collègues. L'homme n'a qu'une idée en tête, sauver son embarcation et les marchandises qu'il transporte. Un naufrage sonnerait le glas de son petit commerce de voiturier sur l' eau.

Pendant plusieurs jours, par un froid sibérien, Tibi lutte sans relâche contre la glace, en cassant l'étau solide qui se forme autour de sa « Belle Marquise ». Sa gabarre résiste grâce à ses efforts, aux dires des uns, beaucoup de chance, aux dires de quelques autres, et ses prières à Saint Nicolas, selon ce brave homme et ceux qui aiment à croire en la divine providence.

Louis n'eut de cesse de psalmodier cette prière : « O grand Nicolas, toi qui as protégé bien des fois, tous les naufragés, toi qui as tendu la main à ceux qui étaient en péril sur les eaux furieuses, écoute ma prière pour que ne soient pas engloutis par la Loire et ses glaces, ton humble serviteur et son modeste rafiot. Si tu exauces ma supplique, je dresserai ici, une croix en ton honneur ! ».

Le miracle eut lieu; Tibi et son chaland furent les seuls épargnés de ce train de bateaux où hommes et embarcations finirent engloutis. Peu de temps après, l'homme tint sa promesse et vint planter une croix qu'on peut voir encore. Reconnaissant d'avoir échappé à la colère de la rivière, il remercia le Grand Saint Nicolas pour l'aide précieuse qu'il lui avait accordée, tout en la refusant à ses malheureux compagnons …

Il était une fois....voici la seconde version, que seul un mécréant peut vous servir ici. Le Gars Louis, dit Tibi la malice, était certainement un bon compagnon mais un sacré coquin. En 1812, la Gabelle, qui avait été supprimée en 1790, était de nouveau à l'ordre du jour depuis 1806, rétablie par Napoléon premier . C'est ainsi que Louis, pour améliorer l'ordinaire, trafiquait le sel.

C'était un faux saunier amateur, un petit trafiquant qui cachait pour lui- même, quelques livres de sel. Lors du terrible embâcle de 1812, année affreuse s'il en est, le Saint Laurent au Canada et la Loire chez nous sont pris par les glaces. Sont également prisonnières du terrible hiver russe , les armées de Napoléon, je dis bien, Napoléon, celui qui finalement sauvera indirectement Tibi.

Louis Groslier s'activait comme un fou autour de son « soube », le troisième bateau sous voile d'un train de bateaux. Avantages non négligeables: son bateau était moins grand que les deux premiers, le chaland et le tirot, et plus solide aussi que les bachots qui suivaient. Mais ce qui l'épargna à coup sûr, c'est son petit commerce parallèle. En effet, pour combattre efficacement l'extrême péril, il dut sacrifier sa réserve de sel de contrebande. C'est ainsi qu'il fut aidé par la physique et non par le Très Haut …

Quand on est seul à échapper au naufrage, bien des jalousies se propagent derrière votre dos. Louis le comprit bien vite et décida d'attribuer à un complice incontestable et d'excellente réputation, le miracle qui l'avait maintenu en vie. C'est donc en l'honneur de Saint Nicolas qu'il planta une croix sur la levée. Ce geste brisa net les plus vilaines rumeurs sur son compte et lui ouvrit les portes de la postérité.

Il fallait bien un Bonimenteur pour apporter ici son grain de sel. Nul n'est obligé de croire en mon explication. Il n'y a que la foi qui sauve et cette morale fort commode, a toujours été utile en bien des cas mystérieux. Je vous accorde le bénéfice du doute et laisse en paix la mémoire de ce brave homme. Puisse-t-il me pardonner cette fantaisie sans autre ambition que de mettre en lumière, et une histoire ancienne , et un peu d'épice dans celle-ci.

Saunièrement sien.

Les mots en question


Les mots en question


Est-ce pénible d'avoir un gros mot sur le bout de la langue ?
Peut-on s'endormir contre un mot doux ?
Que restera-t-il de notre dernier mot ?
Nos petits mots peuvent-ils finir par grandir ?
Faut-il être souple pour dire des mots lestes ?

Comment attendrir les mots durs ?
Le facteur est-il aussi un accordeur de mots ?
Comment accorder un mot qui a mauvais genre ?
Un bon mot permet-il de ne pas rester sur sa faim ?
Un mot accentué doit-il se découvrir devant une dame ?

Mais que fait la police des mots ?
Un dictionnaire est-il une réserve naturelle de mots ?
Quel étrange calcul fait un mot dont la racine est carrée ?
Qu'il y a-t-il après le dernier mot ?
Les bons mots du festival de la Charité sont-ils bien ordonnés ?

Peut-on faire du mot à mot pendant un bouche à bouche ?
Faut-il être camouflé pour parler à mots couverts ?
Doit-on être sur les dents pour manger ses mots ?
Un mot peut-il avoir son mot à dire ?
Si l'argent n'a pas d'odeur qui ne dit mot consent ?

En un mot, est-il possible de vous dire deux mots ?
Peut-on dire du mal sans mot dire ?
Celui qui avale ses mots ne les a-t-il pas assez mâchés ?
Au bas mot, comment dire un mot plus haut que l'autre ?
Peut-on trancher un mot vif ?

Faut-il jeûner pour avoir le mot de la faim ?
Comment amincir un gros mot ?
Peut-on aisément se glisser un mot dans l'oreille ?
Organise-t-on des paris en ligne sur les jeux de mots ?
Les mots croisés ont-ils délivré Jérusalem ?

Comment ai-je pu perdre le sens d'un mot fléché ?
Un mot dit peut-il vous envoyer en enfer ?
Quel mot peut-il sortir d'une bouche cousue ?
Est-ce des mots d'ivrogne qui permettent de vous sortir les verres du nez ?
Celui qui a soufflé discrètement des mots pieux à Jeanne d'Arc a-t-il avivé son feu sacré ?

Comment peut-on toucher un mot en langage des signes ?
Peut-on avoir la dent dure en disant des mots doux ?
Celui qui se met à table aurait-il mieux fait d'avaler ses mots ?
Peut-on avoir des mots sans emphase ?
Quand on se donne le mot, faut-il le rendre ?

Comment savoir lorsqu'on dit un mot de trop ?
Faut-il enfermer les mots qui blessent ?
Que devient un bègue qui mange la moitié de ses mots ?
Peut-on se payer de mots sans le sous ?
Est-ce enfin le mot de la fin ?

Lexiquement vôtre


vendredi 23 mars 2018

Le temps en question

Le temps en question




Comment se repartir équitablement le temps qui nous est imparti ?
Le temps écoulé provient-il d'une fuite temporelle ?
Peut-on être pour un contre-temps ?
A-t-on vraiment mesuré la portée du temps ?
Marque-t-on un temps d'arrêt avant de tuer le temps ?

Doit-on octroyer une minute de silence en hommage au temps mort ?
Est-on certain de la durée d'un temps incertain ?
Les conscrits connaissaient-ils la durée de leur temps prescrit ?
Quel prêtre est en mesure de consacrer le temps ?
Peut-on se faire fort d'imposer un temps faible ?

La prière est-elle un temps béni ?
Un gain de temps, est-ce encore de l'argent ?
L'échelle du temps nous mène-t-elle au ciel ?
Prend-on assez de précautions en gravissant la marche du temps ?
Si le temps joue contre lui, finit-il par gagner ?

Peut-on prendre la mesure du temps ?
Les temps reculés finissent-ils dans le mur de Planck ?
Comment se fait-il que le temps nous manque alors qu'il nous en reste encore ?
Le temps des cerises fut-il le noyau dur de la contestation ?
Dans la nuit des temps, que faisait-on du plus clair de son temps ?

Faut-il prendre du recul quand on est en avance sur son temps ?
Faut-il avoir bon goût pour meubler le temps ?
Est-ce que se ménager du temps est une préoccupation domestique ?
Existe-t-il des moyens pour remonter le temps ?
Est-ce que tromper le temps est un motif de rupture ?

Quel est le propre d'un sale temps ?
Peut-on se permettre d'arrêter un temps qui file trop vite ?
Peut-on se payer du bon temps à crédit ?
Le temps finit-il toujours par vous présenter la note ?
Pourquoi le temps présent n'est-il jamais un cadeau ?

Où va le temps qui passe ?
Un temps libre supporte-il d'être mis aux arrêts ?
Est-ce logique que le temps complet refuse du monde ?
La division du temps laisse-t-elle des restes ?
Le partage du temps est-il automatiquement partiel ?

La concordance des temps justifie-t-elle une telle discordance ?
Un temps composé peut-il aisément se décomposer ?
Ai-je bien employé mon temps ?
Aurons-nous le temps de terminer sur un dernier soupir ?
Est-ce notre linceul que file le temps ?

Peut-on expirer son dernier souffle avec l'air du temps ?
La mort est-elle un temps de repos ?
Pour défier le temps faut-il être un trompe-la-mort ?
Un temps fixé vous donne-t-il accès à l'éternité ?
Est-ce que la fin détend ?

Temporellement sien


jeudi 22 mars 2018

Le coq au vin



Popol, à jamais



Nous allons suivre les pas du petit Jean-Louis, un gamin de la ville, un fils de commerçant : une situation qui vous conduit à vivre dans une maison pleine de visiteurs. Ses parents tenaient un magasin de chaussures et lors des vacances, le garçon était toujours dans les pattes des vendeuses, ce qui, il faut bien l’avouer, leur cassait les pieds.

C’est ainsi que pour laisser tranquilles les virtuoses de la corne à chaussures, Jean-Louis se retrouvait en Brenne, dans la ferme que ses grands-parents avaient confiée à des métayers qui acceptaient avec joie de le recevoir. Il y retrouvait d’autres bêtes à cornes et le bonheur du grand air.

Le petit Jean-Louis n’aimait rien tant que de passer ses vacances loin des odeurs de pieds. Il leur préférait les effluves du tas de fumier, là où il allait fouiller pour y chercher des vers de terre. Il faut dire que la Brenne est réputée pour ses étangs et, en ce temps-là, ils étaient très poissonneux. Jean-Louis était devenu un as de la pêche à la tanche.

Dans la basse-cour, à deux pas de l’étable, poules, canards, dindons et oies allaient en liberté. Quelques coqs montaient sur leurs ergots, histoire de montrer au fils du chausseur qu’ils avaient aussi bien bon pied que bon œil. Jean-Louis n’avait cure des prétentions de la volaille ; c’était avant que notre histoire ne survienne.

Car un jour, le gamin qui avait la paupière lourde décida d’aller faire une petite sieste. Il se coucha parmi les bottes de paille qui, en ce temps-là, avaient la bonne idée de constituer une couche confortable, bien loin des balles rondes d’aujourd’hui. Le gamin était si bénaise, qu’il venait rêver tout autant que se reposer. C’était un autre plaisir de la ferme.

Ce jour-là, la vie de Jean-Paul allait basculer. Un poussin qui avait échappé à la vigilance de sa mère vint se blottir contre le dormeur. Le poussin avait trouvé un ami ; le gamin découvrait l’affection qu’un animal sait parfois accorder à un humain. Naquit alors une amitié indéfectible : partout où l’enfant allait, il était suivi du poussin.

Les vacances furent pour tous deux un grand bonheur. Ils n’étaient jamais l’un sans l’autre. Le poussin avait trouvé dans ce vilain petit canard un compagnon sans pareil, bien plus agréable et inventif que ses camarades de poulailler. Jean-Louis, quant à lui, découvrait la responsabilité de protéger un petit être fragile.

Les grandes vacances arrivèrent à leur terme. Les parents vinrent chercher leur rejeton. Mais là, ce fut une tout autre histoire que celle des autres années. Jean-Louis refusait bec et ongles de se séparer de Popol, car tel était le nom qu’il avait donné à celui qui s’avérait être un petit coq. Le gamin fit une colère comme seuls les enfants savent faire quand ils ont quelque chose de précis en tête.

La situation semblait inextricable pour le chausseur. Comment s’encombrer d’un jeune coq, surtout si c’est pour le faire venir dans un magasin peuplé de charmantes poulettes, les jeunes vendeuses de la maison ? C’était surtout l’endroit où loger le gallinacé qui posait problème. Une maison en ville, sans jardin ni cour, n’est pas l’endroit rêvé pour un coq. Un magasin de chaussures n’est pas prédestiné à pareille cohabitation.

Le maître-chausseur, dans sa sagesse, décréta que le coq pouvait vivre dans la réserve à chaussures. Voilà une bonne décision, d’autant que l’animal en chantant le matin, ne risquait pas d’éveiller les paires qui dormaient là. De plus, c’était encore une époque où la chaussure de qualité française était le plus souvent en vachette, un souvenir de sa ferme natale pour le brave Popol.

Hélas, Popol ne l’entendit pas de cette oreille. Il voua immédiatement une détestation inextinguible pour les demoiselles en talons hauts : les vendeuses qui faisaient nombreux allers et retours dans la réserve. Est-ce le bruit des talons sur le béton de l’endroit ou bien la tenue des vendeuses ? Popol fut pris d’une frénétique envie de leur piquer les mollets.

Ce fut naturellement l'effervescence dans le magasin. Les vendeuses, piquées au vif, menacèrent de se mettre en grève si le coq continuait ainsi de les harceler. Monsieur père de Jean-Louis ne put prendre la lourde menace par-dessus la jambe : les faits étaient suffisamment graves pour condamner Popol à l’exil.

La sentence tomba, définitive et sans appel. Malgré les larmes, les cris, le chantage de Jean-Louis, rien n’y fit : le coq retourna dans une ferme, loin des vendeuses outragées. Il n’était pas temps d’aller jusqu’en Brenne pour l'exécution de la sentence. Un oncle avait une ferme à deux pas de là. Jean-Louis se consola en pensant qu’il pourrait aisément retrouver son petit camarade à la crête rouge.

Hélas, mille fois hélas, il n’en fut rien. L’oncle appliqua le terrible principe de la double peine. Le coq n’eut pas le temps de prendre ses marques dans cette nouvelle basse-cour d’autant que son arrivée avait déclenché le courroux du coq dominant de l’endroit. Les plumes avaient volé quelquefois et, las de ces batailles furieuses de coqs, l’oncle fit un coq au vin pour éliminer le gêneur.

Jean-Louis eut bien du mal à digérer cette terrible issue. Il se jura de ne plus jamais manger ce plat et bouda quelques temps les vendeuses. C’est en grandissant qu’il regarda d’un autre œil ces demoiselles, promptes à se mettre à genoux devant le premier venu, et c’est avec une jeune apprentie qu’il apprit à faire le petit coq. Son père dut intervenir, une fois encore, en lui demandant de mettre un peu moins d’ardeur avec la petite et un peu d’eau dans son vin. Décidément, la vie de coq n’est pas aisée au pays des chausseurs.

Basse-courement leur 

 

mercredi 21 mars 2018

Heureux qui comme Ulis



Le conteur au collège.
 
 

Une ancienne collègue s’est lancée dans un projet pédagogique autour de la Loire, qui coule à quelques encablures de son collège installé dans une ville porteuse d’une légende avec un dragon. Je ne vous en dirai pas plus. Elle a naturellement pensé à son voisin d’autrefois parti à la retraite pour faire le Bonimenteur. Ce fut avec plaisir que je répondis favorablement à son invite, certes avec une petite appréhension ne connaissant pas bien le public d’une classe Ulis.

La première difficulté dans une telle structure réside dans l’éventail des âges. Des élèves d’âge sixième à celui de troisième sont regroupés ici parce qu’ils ont des troubles liés à la maîtrise du langage. L’autre difficulté est l’éclatement d’un emploi du temps qui voit à chaque heure, des élèves partir en intégration dans une classe ordinaire. C’est un incessant va-et-vient pour lequel nous dûmes trouver un créneau afin de tous furent présents.

Ce jour ce fut la première séance, une prise de contact certes mais aussi la nécessité de séduire d’entrée pour convaincre ces adolescents que le conte n’est pas que pour les tout petits. C’est donc revêtu de ma dégaine de scène que j'accueillis tous les élèves qui rentraient de récréation. Ils me souhaitèrent tous le bonjour, je reconnaissais là la patte de ma collègue et le préalable idéal pour une belle séance. Je ne me trompais pas.

Après les courtes présentations d’usage, je leur demandai de lire à haute voix mon rituel de début de conte, un texte jouant des adverbes de temps pour casser les repères de l’heure et pénétrer dans l’imaginaire. Je pouvais alors réciter le texte d’une chanson, décrivant à ma manière, le parcours de la Loire. Une carte projetée au mur permettait de joindre le geste à la parole. Le silence était réconfortant, ils entraient dans mon univers. Je pouvais poursuivre en les invitant dans la légende de leur ville d’adoption. En classe Ulis, les élèves ne sont pas assujettis à la carte scolaire, certains viennent d’un peu plus loin.

Le dragon fit son effet. Il était désormais possible d’entrer de plain-pied dans le conte de facture classique, une belle randonnée animalière qui me permit de faire participer mes auditeurs attentifs précédée comme il se doit par le rituel. Ceux que l’enseignante avait présentés comme timides et réservés, participaient allègrement. Le lancement était lu, certes un peu laborieusement mais sans gène ni refus. Les réponses arrivaient spontanément, toujours accompagnées d’un merveilleux sourire.

Ce fut ainsi, d’histoire en histoire, me voyant gratifié d’applaudissements dès le deuxième conte, signe que la classe était oubliée, qu’ils étaient passés dans une autre dimension, loin du collège. C’est d’ailleurs en remarquant que personne n’avait fait attention à l'immuable sonnerie d’inter-classe que chacun se rendit compte que nous étions tous rentrés dans une bulle magique.

Certains durent partir pour se rendre dans un autre cours tandis que la conversation se prolongeait avec leurs camarades restés là. Rendez-vous était pris pour la prochaine séance en janvier avec d’autres récits et un rituel qui cette fois serait maîtrisé, c’est promis. Il leur appartiendra alors d’écrire un texte pour fermer le conte, pour revenir au réel. Ce sera le prochain travail de leur enseignante.

Elle reprendra également les contes, leur présentera les animaux de Loire abordés au fil des récits, les mots du vocabulaire fluvial, les expressions vernaculaires qui parsèment mes récits, les termes géographiques, les références historiques. Un vrai travail pluridisciplinaire qui collera parfaitement à l’esprit d’une telle classe.

Il me tarde déjà de les retrouver, de les faire participer un peu plus encore et surtout de les mettre en écriture pour à leur tour composer un conte que je me ferai une joie de dire avant qu’à leur tour ils ne l’interprètent. J’espère réaliser avec eux les ambitions qui m’ont poussé à quitter prématurément l’enseignement pour me lancer dans des animations de cet ordre. J’espère que ce récit donnera à d’autres classes l’envie de m’inviter dans cette aventure partagée autour du conte.

Avant de les quitter je leur proposai de servir de cobayes. J’avais écrit la veille un conte de Noël pour jeunes enfants. Je leur demandai, s’ils ne se pensaient pas trop vieux pour l’écouter, de me dire s’il avait une chance d’embarquer les plus jeunes. Ils se firent prendre, ils étaient heureux d’avoir retrouvé leur âme d’enfant et me rassurèrent sur la possibilité de proposer ce conte lors de l’arrivée du Père Noël sur la Loire.
Voilà, vous savez tout ou presque et vous n’êtes naturellement pas obligés de me croire sur parole. Je ne suis qu’un Bonimenteur.

Narrativement leur.

mardi 20 mars 2018

Pour les beaux yeux d'Irène …



Comment la vie peut basculer.



Il était une fois une affreuse et repoussante vieille dame que tous les enfants de ce petit village craignaient comme la peste. Pour chacun d'eux, elle était sorcière effrayante, vieille folle qu'il fallait éviter; la croiser dans la rue était une épreuve. Les adultes qu'ils sont devenus évoquent encore ce souvenir lointain, avec des frissons dans le dos.

La fin de cette pauvre femme fut à l'image de cette réputation qui progressivement l'enferma dans un rôle qui n'était pas glorieux. Sorcière, était-elle devenue, c'est en sorcière qu'elle allait périr. Pourtant, sa destinée eût pu être tout autre. Il eût suffi d'un signe, d'un regard ou d'une passion qui n'eût pas été entravée.

Irène avait été jeune. Irène avait été belle en ce temps glorieux. Ses yeux surtout, d'un bleu si profond, n'étaient pas encore déparés par la froideur de ce qui fait peur. Bien au contraire, ils étaient pièges à garçons! C'est ainsi qu'un jeune homme du village s'y laissa prendre mais en retour toucha le cœur de la belle. Ces deux-là s'aimaient, c'est du moins ce qui se raconte encore mais le mariage n'était pas possible. Irène était d'une famille trop modeste pour que l'alliance se fît,

Il faut peu de chose pour basculer dans une forme de folie. Irène ne se remit jamais de cet amour contrarié. Enfermée dans sa modeste demeure, elle se coupa du monde, se négligea , cessa de se laver. Petit à petit, enchâssés dans sa laideur repoussante, ses yeux si beaux semblaient à présent , d'inquiétants diamants glacés ….

Irène était seule; elle le resterait toute sa longue vie. Ses contacts désormais se limitaient à ses chèvres, ses lapins et de rares clients qui surmontaient leur aversion pour acheter ses succulents fromages. Les enfants du bourg lui jetaient des pierres et lui lançaient des insultes. Elle puait! Cela justifiait hélas ce comportement si peu recommandable …

Irène vivait aussi dans une saleté sans nom, ce que ne révèle pas aujourd'hui sa maison , devenue la petite bibliothèque du village où l'on peut admirer un trésor: un magnifique pressoir à l'ancienne, pièce d'exception et de collection ! Du temps de la dame, cette merveille était dissimulée sous une couche de fumier qui occupait une grande partie de la masure!

Personne ne venait jamais dans l'unique pièce à vivre dont disposait Irène; l'odeur y était trop insupportable. C'est là qu'elle s'enferma dans sa rancune et son désespoir. On lui avait refusé l'homme de sa vie; il n'y en aurait aucun autre! Pire même, elle se coupa des siens. Quand sa sœur se maria, Irène , cloîtrée chez elle, assista cependant de la petite lucarne du grenier, à une célébration qu'elle s'était interdite.

La folie n'était pas loin, favorisée par la vieillesse et la solitude d'Irène . Elle devint désagréable et un peu grossière. Quand on lui demandait son nom, elle répondait toujours : «  Irène Fouqueau, avec un Q comme le mien qui ne combla jamais personne ! » Si la formule est détestable, elle révèle parfaitement toute la détresse éprouvée par cette malheureuse , au plus secret d'un cœur en souffrance.

Irène passait son temps à sillonner la campagne avec sa brouette. C'est ainsi qu'elle parcourait des distances considérables pour aller chercher de l'herbe afin de nourrir ses bêtes ou pour se rendre aux marchés du coin, vendre ses fromages de chèvre. C'est au retour de celui de Jargeau, ville située à sept kilomètres de son domicile, qu'elle tira, un jeudi soir, sa révérence à cette vallée de larmes.

A la nuit tombée , Irène poussait sa brouette le long de la route, marchant d'un bon pas en dépit de ses 88 ans. Le chauffeur d'une voiture qui allait trop vite, ne la vit pas et la percuta; le choc fut terrible! Irène mourut sur le coup. Il fallait pour cette pauvre femme, une fin à l'image de sa vie. Celle qui pour tous, était devenue une sorcière, fut décapitée. Ses yeux qui inspiraient si grande peur, avaient roulé avec sa face immonde dans un fossé. Ainsi finit une pauvre femme pour qui la vie n'avait pas été facile .

Sa maison est devenue un lieu culturel, et la photographie de la pauvre vieille trône en majesté près du pressoir ; il faut retenir l'ironie de cette histoire. Une réputation, pour monstrueuse qu'elle puisse être, peut un jour se transformer par la grâce du temps qui passe. La maison d'Irène est un lieu charmant. Fasse en sorte qu'elle redore une image qui était tombée bien bas. Si vous passez par Mardié, demandez à visiter ce lieu et n'oubliez pas d'avoir une pensée émue pour la pauvre Irène, la vieille aux si beaux yeux !

Hommagement sien

Des mots qui chantent

  Un livret qui chante … Si vous tendez l'oreille En parcourant ses pages Il n'aura pas son pareil Pour sortir ...