jeudi 30 novembre 2017

« Mon étoile est ici, aide-moi ! »


Mes Contes de l'Avent



J’allais au bord de l’eau quand je vis un étrange petit garçon, un enfant assis sur le sol, une tablette à la main, un casque sur les oreilles et des vêtements de marque à la toute dernière mode. Il lançait d’une main distraite, tout occupé qu’il était à son écran, des cailloux dans la rivière. Je m’approchai de lui et, en dépit de son casque, je lui racontai une histoire …

L’enfant-roi ne m'écoutait pas. Il continuait à jouer, parfaitement affairé à tuer des monstres dans un décor absurde. Sans m'en laisser conter je poursuivais ma vaine tentative de le toucher, de le sortir de son monde virtuel pour qu'il ose s’aventurer dans l’imaginaire. Je suis têtu, on me le reproche bien assez, pourtant cette fois, mon obstination allait trouver une curieuse récompense.

Durant mon récit, tandis que l’enfant restait les yeux rivés à son écran, une petite voix que je n’oublierai jamais s’adressa à moi : «  Tu es un curieux vieux bonhomme, toi ! Tu parles une langue que les enfants ne comprennent pas toujours, tu emploies des mots trop savants pour eux mais tu as le désir de les changer ! Tu ne supportes pas de les voir tels que les autres adultes les ont faits : enfants-rois qui font toujours ce qu’ils veulent ! »

Je n’en revenais pas. Si l’enfant ne m’écoutait pas, son petit pantin qui traînait là, abandonné sur l’herbe, avait entendu mon histoire, compris mon propos et pensait que je devais continuer malgré l’indifférence de son petit maître. Le conte en empruntant les voies de la fiction pourrait peut-être modifier l’attitude de l’enfant pourvu que j’insiste longuement et ne me désespère pas. Le pantin me sourit, se glissa sur les genoux de l’enfant et me demanda de continuer mon histoire.

J’hésitai longuement. N’avais-je pas été victime d’une hallucination ? Je n’oublierai jamais ce moment d’une incroyable intensité. Il y avait comme une fièvre dans l’expression du pantin, un désir de voir changer son compagnon humain, une impérieuse envie de le retrouver tel qu’il l’avait connu quand on l’avait confié à lui. «  Continue, continue, il n’y a que toi qui puisses m’entendre. Continue et, un moment ou un autre, Victor cessera d’être ce mur d’indifférence ! »

Je poursuivis donc mon récit. Le pantin, lui aussi, tentait d’attirer l’attention de Victor. Il y parvenait quelquefois. L’enfant ne semblant nullement étonné qu’un pantin puisse ainsi lui chatouiller les pieds ou bien lui tirer les cheveux. Petit à petit, Victor modifia son comportement. Lui qui ne m’avait pas encore vu, me jeta quelques brefs regards. Le pantin ne se décourageait pas : il continuait ses pitreries pour sortir Victor de son effroyable machine.

Petit à petit, le miracle eut lieu. Victoire levait la tête, nous souriait enfin, retrouvait un visage enfantin. Il n’avait sans doute rien entendu de ma première histoire ; il retira son casque au milieu de la seconde quand Pitchoun, puisque tel était le nom du pantin de bois, essaya de le lui ôter. Pitchoun lui glissa à l’oreille «  Écoute ce monsieur, il te raconte une belle histoire ! »

Victor daigna m’adresser la parole. Il avait un gros défaut de langue : il bégayait de manière incroyable, il accrochait chaque mot, il se reprenait, ne parvenait pas à trouver ses mots. Pitchoune m’avait prévenu : il fallait le laisser faire, ne pas chercher à l’aider. L’écouter avec attention pour lui donner confiance.

Victor me demanda de poursuivre. Mon histoire lui plaisait. Le pantin dans le dos de l’enfant pointa son pouce en l’air. Quel curieux personnage que ce petit être en bois ! Je continuai donc tout en sollicitant fréquemment l’enfant. Je l’interrogeais, lui demandais de se rappeler un personnage ou une action. Il participait à l’histoire et plus il participait, mieux il parlait. Ses yeux brillaient, sa crinière blonde flottait au vent. Il y avait quelque chose du Petit Prince chez ce gamin redevenu un enfant. À la fin de ma seconde histoire, je lui fis part de cette remarque.

Victor éclata de rire ; un rire en cristal, un rire réjouissant et communicatif. «  Tu es fou ! Je ne suis pas le Petit Prince, Je ne viens d’aucune étoile lointaine et je n’ai jamais vu de mouton. Je suis l’enfant roi de la planète Terre, mon étoile est ici et elle est bien malade. Aide-moi à faire un monde plus heureux ! »

Victor prit dans ses mains son pantin et cessa de me parler. C’est désormais à lui qu’il s’adressait, sérieusement, profondément. Il ne bégayait plus du tout, il avait l’air grave. «  Tu vois, mon pauvre Pitchoun, je t’avais oublié parce que les adultes ont cru que je ne voulais plus jouer avec toi quand j’ai réclamé une tablette pour leur faire plaisir. Mais c’est avec toi que j’ai construit mes rêves, que j’ai inventé des aventures, que j’ai voyagé dans le temps. Mais pour eux, il fallait que je sois toujours occupé et un enfant qui rêve est forcément un enfant qui s’ennuie. »

Le pantin hochait la tête. Il mit sa petite main dans celle de Victor. Des larmes coulaient de ses yeux de bois. Pitchoun se cala tendrement contre le cou du gamin. Victor était heureux, il avait retrouvé la légèreté et insouciance de l’enfance. Il ne singeait plus l’adulte ; il ne cherchait plus à imiter une grande personne.

«  Ce monsieur pourrait tous nous aider à rester des enfants s’il abandonnait sa langue trop compliquée, ses phrases trop longues, ses expressions de vieil instituteur. Les enfants ont besoin qu’on leur raconte des histoires, ils en ont toujours besoin. Mais les adultes sont bien trop occupés désormais pour leur consacrer du temps. Ils les laissent devant un écran, les abandonnent à leur sort, les privent de leur enfance. »

Je ne pouvais rester à l’écouter sans rien faire. Je devais lui montrer ma présence, lui signifier que je comprenais qu’il s’adressait à moi. Je saisis l’autre main du pantin tout en m’asseyant à ses côtés. Sottement j’étais resté debout devant lui, sans doute pour marquer une stupide supériorité, pour refuser symboliquement d’être à son niveau ou pour éviter les allusions scabreuses dans une société où un adulte ne peut plus discuter avec un enfant qu’il ne connaît pas.

Victor parla encore à son pantin. « Le vieux monsieur commence à comprendre. C’est aux enfants qu’il doit consacrer son énergie. Il va retravailler ses contes, les simplifier, les écrire pour nous, les enfants. Il doit arrêter de croire que les adultes sont capables de le comprendre. Tu vas partir avec lui, il te posera sur son bureau pour se souvenir de moi. Grâce à toi, je serai son personnage. C’est à moi qu'il racontera une histoire pour me permettre de grandir loin des des folies de ce monde qui ne sait plus où il va ! »

J’étais moi aussi en larmes, Victor m’avait ouvert les yeux, m’avait montré le chemin. S’il y a le plus petit espoir de changer le monde, c’est aux enfants qu’il faut s’adresser. J’allais reprendre mes textes, modifier le vocabulaire et alléger le contenu. Pitchoun serait pour moi un correcteur impitoyable, un guide exigeant. Il était l’ami de la gentille fée de mes songes.

Je me levai et j’acceptai le cadeau de Victor. Je lui faisais ainsi promesse de me mettre au travail. Le petit pantin se glissa discrètement dans l’une des poches de mon sac à dos, là où se trouve l’ordinateur qui ne me quitte jamais. J’avais compris ma nouvelle mission.

Je n’avais pas fait trois pas que je me retournai pour adresser un dernier signe de main à Victor. Il s’était à nouveau déguisé en enfant roi, le casque vissé sur les oreilles et la tablette à la main. Il me fit un clin d’œil complice avant de me saluer d’un grand éclat de rire ...

Tendrement sien. Na !


mercredi 29 novembre 2017

Une dédicace venue du ciel …

À l'enfant à paraître



Il est des rencontres qui interpellent, vous laissent pantois et ne cessent ensuite de vous hanter. Celle que je vais vous conter est de celles-ci. J'allais à l'aventure dans une caverne d'Ali Baba, un endroit merveilleux, peuplé de vieux livres et habité par un conteur à l'accent chantant, un être rare et enchanteur.

Passer quelques heures chez un bouquiniste est déjà une formidable plongée dans l'histoire et la fiction, l'imaginaire et le réel. Chacun vient y chercher sa perle, sa rose ou bien un souvenir d'enfance. Les vieux livres semblent émettre des ondes, nous parler et nous inviter à leur redonner vie. « Aux Baux livres » est de ces endroits qui vous prennent ainsi par le cœur.

Alors que nous devisions tranquillement, que nous évoquions l'étrange alchimie du conte, un vieil homme pénétra dans la boutique. Il nous laissa discuter, prétendant ne rien chercher de particulier. Il voulait simplement se laisser porter par le hasard ou sa bonne fortune. Nous laissâmes l'homme à sa recherche silencieuse tout en continuant à palabrer.

Mon ami montalbanais me disait alors que, pour lui, un conte c'est un grand cercle que l'on va parcourir. Il faut accomplir la boucle, laisser se dévider l'histoire en offrant à chaque personnage, sa chance et sa réalité. L'écheveau du récit se poursuit jusqu'à ce qu'une fracture se produise : un évènement qui vient rompre le bel ordonnancement des choses.

C'est la part du mystérieux, de la magie, du fantastique qui surgit et provoque la faille dans laquelle va s'engouffrer le conteur. Soudain, tout bascule, tout se dilue dans le récit qui perd alors pied avec le réel. Il n'est pas question d'expliquer, de rationaliser, de justifier. Il suffit de se laisser porter par une autre logique et de suivre cette route qui n'a jamais été empruntée.

Le cercle s'achèvera alors par une pirouette, une intervention surnaturelle, un merveilleux artifice pour retourner au point de départ avec une infime distorsion, un changement imperceptible qui, pourtant, apporte tout son sel désormais à la situation initiale. Le tour sera joué : le lecteur aura son content de surprises et la boîte à malice pourra se refermer …

J'étais admiratif devant cette définition quand le client silencieux se rapprocha de nous. «  S'il vous plaît, auriez-vous des choses rares sur Saint-Exupéry ? » Il semblait surgir d'ailleurs ! Il y avait dans sa voix quelque chose de l'enfance que renforçait un sourire malicieux. Le bouquiniste sortit ce qu'il avait en magasin. L'homme lui dit «  J'ai déjà tout ça. Je cherche quelque chose que je n'ai pas, quelque chose de rare ou bien de précieux … »

Nous étions captivés par sa douceur. Mon ami réfléchit et lui déclara qu'il savait où trouver un exemplaire du Petit Prince dans l'édition originale de 1943, dédicacé par Antoine de Saint-Exupéry. L'homme eut un grand sourire et se fendit de cette réponse surprenante : «  Ça aussi je l'ai déjà. La dédicace de Saint-Ex m'est personnellement adressée. »

Nous restions bouche bée. Quel âge pouvait bien avoir ce vieil homme pour avoir rencontré de son vivant l'auteur du Petit Prince ? Ne nous menait-il pas en bateau ? Nous voulions savoir le fin mot de cette histoire incroyable. L'homme comprit que nous étions dubitatifs. Il prit alors la parole comme un conteur qui nous offre son histoire …

« Je devine que vous ne me croyez pas et pourtant la chose est exacte. Je n'ai jamais rencontré Antoine de Saint- Exupéry et pourtant c'est bien à moi que fut destinée cette étrange dédicace. Je vous dois quelques explications. Mon père était mécanicien d'avion. Il avait la lourde responsabilité d'entretenir l'engin que pilotait notre aviateur-écrivain.

Saint-Exupéry n'avait d'ailleurs ni la corpulence ni le physique pour être pilote de guerre. Mon père devait à chaque fois remplir la réserve d'oxygène dans son cockpit. Les autres pilotes n'en avaient jamais besoin, lui toujours. Ils avaient établi une relation de confiance et d'amitié. Je ne sais si ce fut au départ de son ultime voyage ou bien peu avant mais mon père annonça à son pilote sa joie d'attendre un enfant. Il venait d'apprendre la nouvelle …

Saint-Exupéry lui demanda de l'attendre. Il alla chercher quelque chose dans ses affaires. Il revint avec un livre à la main. Vous avez compris que c'était : « Le Petit Prince ! » Il prit un crayon et écrivit alors cette étrange dédicace, fruit d'un lapsus étonnant : «  À l'enfant à paraître, un Petit Prince qui, je l'espère, ouvrira les yeux sur un monde à nouveau en paix ! »

Mon père reçut ce présent. Savait-il que son ami pilote était un immense écrivain ? Je ne le lui ai jamais demandé. Saint-Exupéry décolla et ne revint jamais. Mon père eut une belle carrière dans l'aéronautique et moi, je suis devenu par la force de ce baptême littéraire à nul autre pareil, un passionné et un collectionneur de l'œuvre de celui que je n'ai jamais connu mais qui a pensé à moi avant de mourir ... »
Nous étions comme deux enfants, émerveillés d'un récit qui tenait lieu pour nous de conte de fée. Nous venions de trouver une autre faille dans le cercle du récit. Nous nous y engouffrions sans même penser à demander le nom de ce visiteur qui partit aussi discrètement qu'il était entré. La magie s'offre toujours à ceux qui sont disposés à lui faire une petite place. Nous venions d'être comblés.

Princement sien.

mardi 28 novembre 2017

Chez Madeleine



Je lui dois tant.



Le jour où un ouvrage écrit de ma plume va voir le jour, permettez-moi d'évoquer l'une de ces libraires qui étaient la gloire de notre pays quand celui-ci était encore fier de sa culture et de sa langue. Depuis, les librairies ferment les unes après les autres, attaquées par un géant de la vente par correspondance qui attire dans ses filets des gens bien trop pressés, pas assez conscients pour comprendre qu'ils mettent en danger l'exception culturelle française.

Qu'aurais-je été sans Madeleine ? Un gamin qui n'avait que quelques livres chez lui, bien peu pour alimenter sa gourmandise et ses curiosités. Quelques romans d'enfance, perdus sur une étagère qui, curieusement, était dans les toilettes. C'est sans doute là que j'ai découvert le bonheur ineffable de la lecture, sur une chaise percée ; une perversion pour les uns, une bien étrange manie pour les autres et une source permanente d'énervement et d'impatience pour les miens …

Sans Madeleine, j'en serais resté aux aventures du petit rat Justin et des quelques beaux livres glanés lors de la remise des prix. J'évoque ici, cette belle tradition qui sombra après mai 1968, quand les villes offraient un livre aux enfants, à la fin de l'année scolaire. Hélas, il y avait dans cette belle pratique l'expression du mérite, valeur qu'il fallait rayer de la carte scolaire. Depuis, on a pu apprécier les dégâts que continue de faire cette posture suicidaire.

Quand j'avais un bon moment de libre devant moi, je prononçais cette phrase rituelle que mes parents supportaient sans rien dire : «  je vais chez Madeleine ! ». J'accompagnais cette déclaration en plongeant la main dans la caisse de la boutique pour prendre juste ce qu'il me fallait pour assouvir mon vice. Jamais mes parents ne m'ont rien dit, comme s'ils avaient compris qu'il y avait là dépense raisonnable.

Je traversais la petite ville en prenant le chemin le plus rapide, habitude qui n'était pas souvent la mienne. J'aimais tant déambuler dans ce village qui sentait bon la douceur de vivre en bord de Loire. Mais là, le but était clairement défini et j'allais d'un bon pas jusqu'à la librairie de la dame. Pour nous tous, elle était Madeleine, petite femme dynamique, bienveillante, souriante, toujours bien mise et soignée de sa personne. C'est du moins ainsi que je la vois encore.

Sa librairie, qui existe toujours, gardée avec passion par le fils Morin, jouxte la poste. Un symbole fort à l'époque où l'écrit n'avait pas été encore réduit en poussière par la vague des télécommunications. Il fallait gravir quelques marches pour pénétrer dans ce palais du livre, capharnaüm plaisant dans lequel je me perdais avec délice.

Madeleine me souriait et me laissait fouiller, fouiner, farfouiller, baguenauder chez elle, sans se soucier du temps et des livres que je dévorais. Elle savait que je ne partirais jamais avec un ouvrage dissimulé dans mes poches ; cela aurait été inconcevable en cette époque courtoise. Elle n'ignorait pas non plus qu'à la fin de mes voyages, je lui achèterais un nouveau trésor.

C'est ainsi que, des années durant, j'ai découvert bien des collections, bien des auteurs. Mes goûts et mes achats ont évolué naturellement avec l'âge. Ils ont évolué, toujours avec les conseils discrets de la gentille libraire. Elle a su me faire découvrir la littérature après m'avoir laissé épuiser ma soif d'aventures plus faciles.

Je passais tellement de temps que j'en oubliais parfois de regarder l'heure. Je me souviens encore, le rouge au front, de cet après-midi … J'avais découvert « Clochemerle », cette belle farce truculente qui m'a sans doute sournoisement influencé dans biens des domaines. Je jubilais, je feuilletais ce livre en oubliant cette furieuse envie d'uriner qui finit par m'être fatale. C'est le pantalon souillé que je m'enfuis de la librairie sans avoir pris ce livre !

J'avais honte et je fis le grand tour pour rentrer chez moi en passant le long des douves, loin des rues commerçantes. Après un retour en dignité, je retournai pourtant, bien vite, sur les lieux du forfait pour acheter ce livre, cause de mon déshonneur. Madeleine fit semblant de rien ; je lui en sus gré.

Les années ont passé. Depuis bien longtemps, j'ai quitté mon village mais il est un passage que je ne manque jamais de faire. Il me faut gravir les petites marches et pénétrer chez Madeleine ; même si elle n'est plus là depuis bien longtemps. Je retrouve cette ambiance incomparable ; je retombe en enfance et en lecture.

Dans quelques jours sans doute, peut-être même demain, mes «  Bonimenteries du Girouet » seront dans la vitrine de chez Madeleine car Monsieur Morin est en relation avec les éditions du Jeu de l'Oie ; ce n'est pas fantaisie de ma part ou rêve illusoire. J'en ai les larmes aux yeux à cette pensée. J'aurais tant aimé que Madeleine soit encore là pour me servir ce livre : le mien ! C'est à elle que je dois cette belle aventure !

Dédicacement sien.

lundi 27 novembre 2017

Mon village d'en-France.


Suivez le guide !



C'est un village lové au creux de cette rivière impétueuse que j'ai toujours chérie. Un Château-fort qui s'est paré de la délicatesse d'une renaissance discrète, célèbre la Loire en s'en protégeant par des douves paisibles quand jadis il avait les pieds à même son lit. Un pont qui ne fut pas le mien, remplace son prédécesseur, suspendu alors au-dessus de l'eau jusqu'à ce qu'un jour de trop grand gel ne le fasse plonger dans les flots glacés ! Je craignais cet ouvrage d’art, le redoutais plus encore tout en admirant ses lignes.

La belle demeure de Maximilien, le Duc de ces lieux, héberge chaque année un festival de musique prisé du mélomane. Le lundi, c’est tout le canton qui se presse sur les foirails pour un marché foisonnant, grand Capharnaüm de tissus, de bibelots et de nourritures variées. Rien n'empêcherait les gens du Sullias de se rendre à ce rendez-vous inscrit dans les gènes locaux. Même les bombardements de la seconde guerre mondiale qui ont tant blessé la ville, ne furent pas suffisants pour arrêter les gens des campagnes voisines.

Le village est devenu petite ville, il a grandi autour de cet ovale enserré par ses boulevards et sa grande rue commerçante. Le Château et son parc constituèrent l'échappée sage des autochtones en mal de sortie. La Loire se réservait les plus aventureux, son amont y est sauvage, inquiétant et le plus souvent abandonné des hommes. L’aval nous conduit vers le Val d’Or, cet espace dédié aux lumières. Ici débute son classement au patrimoine mondial de l’humanité par l'Unesco. Qui se prolongera jusqu’à Chalonnes.

Porte d'une Sologne toute proche et d'un Berry si peu distant, Sully ouvre le bal à ce Val langoureux qui vous conduira par Saint Benoît et Germigny-des-Prés jusqu'au plus lointain de notre passé médiéval. La levée se dresse, fierté de ce Ministre Royal qui prit nom de sa bonne ville, elle protège des colères de ces crues soudaines et violentes, elle accueille maintenant le cycliste itinérant, sur un terrain si plat, que le grand vent de galerne se prend parfois pour un col difficilement franchissable.

Il ne faut pourtant pas lui tourner le dos. Vous apercevriez alors de vilaines tours crachant la fumée d'une fission nécessaire à une modernité qui a, en ses premiers temps, mis nos mariniers à quai. Des fûtreaux lancent parfois la grand voile carrée pour commérer la lenteur d'un Monde allant encore à son pas. Le gué d’Or se profile vers Ouzouer-sur-Loire, le lit est chargé d'énormes blocs de granit qui rendent la navigation périlleuse.

Le Val est ici si large qu’on peut parfois ne pas en voir ses limites. Lors des grandes crues du dix-neuvième siècle, une masse d’eau s'étalait parfois sur près de 30 kilomètres de large. Il est riche de ses cultures maraîchères. Les asperges y sont en territoire conquis. Plus loin, au nord, la forêt d’Orléans, au Sud la Sologne, offrent de belles escapades forestières et de belles cueillettes de champignons en automne.

J'ai grandi au cœur de ce village, avec une fois par mois par les cris stridents des cochons qu'on négoce. Alors, la boutique se remplissait de paniers qu’on y laissait en garde, de bavardes qui venaient échanger les dernières nouvelles. Les autres lundis, le marché prenait son temps, profitait de la place libre pour s’installer tôt le matin.

La semaine, du début du printemps à la fin de l’automne, c'était la cardeuse paternelle qui réveillait le voisinage pour qu'avant le soir, le matelas de laine puisse accueillir le sommeil des siens. J’aidais mon père à livrer le matelas gonflé comme une outre, visitant ainsi nombre des maisons de la ville. Je n'imaginais pas alors devoir quitter ce bonheur simple, ce village où le temps prenait la vie à l'endroit.

En mon village, le dimanche matin était moment de grande activité : les commerces, le château ou l’église attirant les clients. La ville s'éveillait et jusqu'à l'heure apéritive, elle bruissait des conversations, des rencontres espérées ou occasionnelles. Les gens s'y mélangeaient sans souci des couches sociales, des fonctions ou des origines qui n'étaient pas encore en cette époque si proche, barrières infranchissables.

Je ne suis pas certain que mon village d'antan soit demeuré le même. Il a subi de plein fouet la crise automobile quand les forges fermèrent leurs portes, transformant radicalement la vie locale. Les usines Simca donnaient alors du travail à beaucoup de sullylois. Ce coup fut presque fatal, la ville changeant ensuite profondément de sociologie. Une communauté y élut domicile, bouleversant elle aussi l’équilibre d’alors.

Je vais venir conter dans mon village d’en-France. Je redoute de n’y reconnaître que bien peu de gens ni de trouver écho dans une population qui n’a pas été bercée par ce que je viens de vous décrire. J’espère qu’il se trouvera quelques curieux pour emboîter mon pas et accepter d’ouvrir avec moi la boîte à souvenirs et histoires.

Sulliassement vôtre.

dimanche 26 novembre 2017

Ce n'est pas un cadeau !



Mauvais conte de Noël ...


Tout avait commencé étrangement dans la boîte aux lettres. La période était encore à la cueillette des champignons, la douceur de l'automne naissant ne laissait pas supposer que l'hiver réclamait déjà toute votre attention. Plus tôt encore que l'année précédente, des catalogues, pleins de promesses, étaient arrivés pour tenter le diable.

Un bon petit diable sans doute mais un diable quand même. Un gamin qui n'en fait qu'à sa tête, un être de colère et de caprices, tyran domestique et monstre d'exigence. Dès qu'il les consulta, ces maudits catalogues, il n'y eut plus moyen de le tenir. Il allait d'une page à l'autre en s'exclamant, en cochant tout ce qui lui faisait envie.

Il n'était pas fou, il avait compris que l'empressement des grands à satisfaire ses désirs passait par une sélection exhaustive de ces mirages merveilleux. Il voulait tout, réclamait tout dans une fièvre gourmande d'appropriation. Il savait que pour être aimé, il était indispensable d'être gâté. C'était un enfant modèle de la société de consommation.

Il distribuait les rôles à qui voulait bien lui accorder un peu d'estime. Père, mère, beau-père, belle-mère, oncles et tantes, grands-parents et voisins, amis et connaissances ; tous avaient droit à une petite requête, une demande précise, référencée, cataloguée. Il y avait de quoi satisfaire ses envies les plus extravagantes : la profusion des cadeaux possibles lui assurait un pouvoir redoutable sur tous ces adultes pris au piège.

Ce pouvoir, il le connaissait parfaitement. Il réclamait sans honte ni modération. L'enfant est roi en ce monde mercantile ; il est désormais impossible de lui refuser quoi que ce soit et point ne sert de prétexter un quelconque argument pour se défiler. Le cadeau de Noël est un passage obligé, une imposition sociétale. L'enfant l'avait compris et, de son trône, organisait sa prochaine remise des récompenses.

Pour plus de sûreté, il établit une liste précise et détaillée qu'il expédia par la poste à un mystérieux entremetteur, livreur nocturne des colis espérés. Il précisa, pour plus de clarté, le nom de chaque personne sollicitée. Le bon vieillard n'avait plus qu'à faire l'interface. Comme c'était un enfant de son époque, il eut la prudence de doubler la lettre d'un message électronique, ainsi était-il certain de son fait. Il serait comblé le moment tant attendu, venu.

Il croisa durant tout le mois de décembre, de curieux personnages grimés dans les magasins et les centres commerciaux, sur les marchés de Noël et les places publiques. Quoique qu'il n'eût jamais affaire aux mêmes , tous ces pauvres comédiens misérables à la barbe postiche lui affirmèrent, tous en chœur, qu'ils avaient bien reçu sa commande et qu'il n'y avait aucune raison qu'elle ne soit pas satisfaite. Il jubilait d'un tel pouvoir !

Quelques rabat-joie venaient bien lui réclamer de petits efforts en contrepartie. Un peu de sagesse, une petite dose de politesse et de bonnes notes à l'école. Les pauvres, ils ignoraient sans doute qu'il y a belle lurette qu'on ne note plus les élèves. Quant aux autres conditions, l'enfant en riait d'avance. Qui oserait le priver de ce dont il avait droit ? Il n'est plus question d'exiger des contreparties à l'enfant roi.

Et le jour tant attendu, il comprit sa toute puissance, sa force de persuasion et son importance dans la cité. Sous le sapin de Noël, une avalanche de paquets aux mille et une couleurs, enlacés de rubans dorés ou bien argentés. Il y avait là des monceaux de paquets-cadeaux, des colis tous plus gros les uns que les autres. Il était bien le roi de la fête, le prince de la nuit.

Il allait pouvoir commencer son cinéma, sa grande scène si souvent répétée. Il allait se montrer injuste, égoïste, capricieux et difficile. Il se savait observé, admiré, scruté. Il allait leur jouer le grand numéro de celui qui reçoit bien trop de cadeaux. Les caméras étaient braquées sur sa personne, la foule admirative n'attendait plus que lui.

Il prit son temps, feignant l'indifférence devant ce tas entièrement dédié à sa gloire. Il tourna autour, cherchant du regard le paquet le plus volumineux. L'amour se mesure en mètres cubes ; il avait compris la nouvelle mesure de la démesure. Il ouvrit ce gros, cet immense paquet. Il l'éventra plutôt, le déchira, martyrisa le carton d'emballage, s'en prit même au contenu qui reçut quelques coups. Autour de lui, on s'exclamait d'une telle énergie. Lui, il brisait pour le simple bonheur d'asseoir son autorité sur cet aréopage de courtisans. 

Il abandonna bien vite le premier cadeau sans même remercier ceux qui avaient répondu à sa requête. Il le laissa dans un coin, l'abandonnant à son triste sort, présent inutile et encombrant qui achèverait sa vie éphémère dans une déchetterie quelconque. Seul le plaisir du déballage lui importait . Jouer ? Mais pourquoi s'encombrer de pauvres objets quand l'espace virtuel s'offrait à lui ?

Il se décida à porter son dévolu sur un autre paquet. Il subirait le même sort. Les flashes crépitaient tandis qu'il détruisait méthodiquement cette grosse peluche ridicule. Puis ce serait le tour d'un camion de pompier, une drôle d'idée qu'il n'avait même pas eue. Ainsi, une grande partie de la soirée, il allait ouvrir et abandonner des cadeaux dérisoires, des épaves déjà, sans amour ni désir.

Les adultes boudent maintenant cette cérémonie fastidieuse. Ils se pressent devant le buffet, ils ont payé leur écot en apportant un cadeau pour ce vilain garnement. Ils n'espéraient aucun remerciement ; ça tombe bien, ils n'en auront pas. Ils ont rempli leur devoir de grande personne ; ils ont acheté une babiole, c'est tout ce qu'on leur demandait.

Au pied du sapin, un capharnaüm de papiers éventrés, de rubans déchirés, de cartons émiettés, de cadeaux démembrés, d'objets à jamais oubliés. L'enfant est retourné à ses écrans ; il a abandonné ce champ de bataille qui l'a distrait quelques minutes de son monde virtuel. Il est retourné à ses aventures sanguinolentes, ses monstres et ses vies magnifiques.

Pourtant, au pied du sapin, un paquet minuscule, ridicule, reste encore emballé. Celui qui l'a offert, garde le regard dans le vague. Il souffre de la négligence du petit monstre, de son indifférence à ce qui est si précieux à ses yeux. Il ne comprend pas la réaction des autres adultes, il n'admet pas le spectacle auquel il vient d'assister, il réprouve les exclamations de ceux qui ont été piétinés à l'instar de leur offrande.

L'homme reste seul au pied du sapin, là où gisent les reliefs de Noël. Dans son modeste paquet, il avait glissé un livre. Oui, un étrange objet, le grand oublié de la fête, un petit recueil de contes et de fables, un présent qui n'est pas rutilant, un cadeau qui réclame effort et temps, concentration et passion. Il n'a pas compris que les temps ne sont plus à ce genre de présent.

L'enfant n'ouvrirait pas ce cadeau mais le garderait inexplicablement sur une étagère. Des mois durant, il resterait en l'état. Mais un jour, bien plus tard, par ennui et inadvertance, il délivra ce petit livre. Pourquoi avait-t-il fait ça ? Lui-même ne le savait pas. Pire encore, ce jour mémorable, il essaya de déchiffrer quelques mots. Jusqu'au soir, il abandonna ses écrans et ses colères. Il venait de découvrir un monde plus merveilleux encore que ceux, factices, qui occupaient alors ses journées entières.

L'enfant avait découvert le livre. Il renonça, le Noël suivant, à tout ce qui faisait alors son pouvoir sur les adultes. Il ne voulut que des livres, des albums, des histoires, des romans. On prétend que bien des donateurs en furent très contrariés. Ils se sentaient humiliés d'offrir un objet de si peu de valeur. Qu'allait-on penser d'eux ?

Mercantilement sien. 

samedi 25 novembre 2017

L'air de rien


L'air de rien



C'est un petit air bête
Qui me trotte dans la tête
Un petit air de rien
Qui m'est venu en chemin


En allant sur la Loire
Je me suis mis à boire
Montant sur le bateau
J'en avais bu bien trop
Passant par-dessus bord
Je me crus déjà mort
C'est en tombant dans l'eau
Que je devins tout penaud

C'est un petit air bête
Qui me trotte dans la tête
Un petit air de rien
Qui m'est venu en chemin


En allant sur la Seine
Tu me fis une scène
Quand tu grimpas sur le pont
Tu me passas un savon
Tu me fis tant de reproches
C'en était vraiment moche
Que je te poussai dans l'eau
Tu tombas de très haut !

C'est un petit air bête
Qui me trotte dans la tête
Un petit air de rien
Qui m'est venu en chemin


En allant sur le Rhône
Il réclama un trône
Il se prit pour le pape
Et s'offrant des agapes
Voulut du vin de messe
Et je vous le confesse
Je le coupai d'un peu d'eau
Il buvait beaucoup trop

C'est un petit air bête
Qui me trotte dans la tête
Un petit air de rien
Qui m'est venu en chemin


Allant sur la Dordogne
Nous nous sommes mis en rogne
Avons pris une gabarre
Pour construire une guitare
La Bousol en chanson
Nous donna une leçon
Nous l'avons jetés à l'eau
Il n'y avait pas de Do

C'est un petit air bête
Qui me trotte dans la tête
Un petit air de rien
Qui m'est venu en chemin


Allant sur la Moselle
Vous vous fîtes, demoiselle
Petite bergère charmante
Qui devint mon amante
L'Anglais vous bouta vite
Vous préférant trop cuite
Vous réclamiez de l'eau
Et n'eûtes que des fagots

C'est un petit air bête
Qui me trotte dans la tête
Un petit air de rien
Qui m'est venu en chemin


Allant sur l'Océan
Réclamèrent du gros temps
Elles prirent alors la barre
Filant à Zanzibar
C'est au creux de la vague
Qu'elles nous firent une blague
Z' avaient trop salé l'eau
Pour diriger le bateau


C'est un petit air bête
Qui me trotte dans la tête
Un petit air de rien
Qui m'est venu en chemin
C'est un petit air bête
Qui me trotte dans la tête
Un petit air de rien
Qui m'est venu en chemin






jeudi 23 novembre 2017

Au large de la Sicile


Au large de la Sicile



Que tous les gens de mer et rivière
Se souviennent des exilés de l'enfer
Pauvres gens abandonnés au destin
Entassés sur de vieux rafiots malsains

Leur première aventure marine
Les conduira bien vite à la ruine
Au bout de ce terrible voyage
La peur, la honte ou le naufrage …

Des bateaux sans aucune confiance
Des épaves laissée là en partance
Promettent des périples trompeurs
Pour qui n'est pas navigateur
*
Des marchands de rêves et de beaux songes
Leur ont vendu cet affreux mensonge
Partir pour changer de destinée
Survivre et pouvoir espérer

Des pirates les jettent à la mer
Début d'une affreuse galère
Ces hommes au bout de leur chemin
Espèrent qu'on leur tende une main

Les premières victimes, des enfants
Expirent dans les bras de leurs mamans
Les plus faibles finiront la route
Agonisant au fond de la soute

Les survivants affamés et meurtris
Verront surgir les gardes d'Italie
Pensant échapper à leur triste sort
S'arrêteront dans le premier port

Ils reviendront sans ménagement
Vers le pays de leur embarquement
Ces malheureux marins du désespoir
Dont jamais nous ne chanterons la gloire

C'est au large de la belle Sicile
Que la pauvre humanité vacille
La mer vaste tombeau silencieux
Pour tous ces peuples miséreux

Que tous les gens de rivière et de mer
Tendent la main aux exilés si amers
Pauvres gens trahis par des gredins
Quand sombre leur nouveau destin

à lire absolument
 

mercredi 22 novembre 2017

Mes balades contées



Les pieds dans les histoires !



Laissez-vous conduire par le cœur et suivez le Bonimenteur le long des canaux et des rivières. Marchez sur un chemin de halage, une berge, un quai empierré et découvrez les légendes d’autrefois. C’est ce à quoi je vous convie si vous voulez bien me suivre. Il y a tant à dire, tant à découvrir le long de ces cours d’eau qui ont façonné nos civilisations.

Les hommes se sont installés en bord de rivière, ils ont construit leurs cités en se donnant une mythologie liée à cette eau qui passe. Les fées, les monstres, les prodiges, les grandes batailles, les personnages royaux, les humbles gens, tous ont participé à cette fascination pour les flots, tous ont plongé dans les mystères qui peuvent naître de la fréquentation assidue des rives.

Le conteur n’a qu’à puiser dans ce patrimoine universel pour vous proposer un voyage sur la terre et dans le temps, aujourd’hui et autrefois. Le rêve sera dans vos chaussures, la nature se parera de cette magie que les citadins ont oublié d’admirer. Les animaux seront de la fête et le marcheur redeviendra un enfant.

C’est ce à quoi je vous convie, le sac sur le dos, un panier repas et quelques bouteilles car ne l’oubliez jamais, le vin a son histoire intimement liée à nos fleuves, comme si Bacchus avait toujours souhaité mettre un peu d’eau dans son vin et de belles saveurs dans son merveilleux nectar. Une autre épopée est à portée de goulot, celle de la vigne, des vignerons, des gars qui construisaient ou transportaient les tonneaux d’un port à l’autre. Il suffira de boire mes paroles pour peu que vous n’oubliiez pas de me rafraîchir le gosier.

Nous partirons en balade, le voyage sera lent et paisible. Les contes agrémenteront le chemin, nous ferons halte magique ici, un peu plus loin ce sera farce coquine, là-bas nous rencontrerons le diable qui n’est jamais bien loin et plus loin encore, ce sera un saint qui fera un miracle. À cet arrêt, un pierre magique tournera sur elle-même pour libérer un trésor fabuleux tandis que de l’autre côté, les oiseaux migrateurs vous feront la sérénade.

L’aventure continuera. Vous découvrirez les habitants des flots, ces poissons qui ne cessent de nous surprendre, d’aller de la rivière à l’océan ou bien de mener terrible bataille pour leur survie dans les profondeurs des frayères. Ils étaient les compagnons des pêcheurs, ceux qui alors faisaient métier de connaître par le cœur tous les secrets du parcours.

Sur la rivière, vous découvrirez le passeur qui vous conduit sur l’autre rive, le tireux de jars qui remonte le temps de son sablier nostalgique, les mariniers d’autrefois se conduisant de manière étrange, l’aventure des bateaux à vapeur, la folle descente des gars du Forez. Puis dans un coin plus calme, vous entendrez les laveuses battre le linge et claquer de la langue.

Tout ceci sera à portée d’oreilles pour peu que vous preniez la peine de me suivre. Les enfants des écoles seront ravis de profiter de l’aubaine si les maîtres et les maîtresses prennent la peine de m’inviter. Le Bonimenteur vous convie à ses balades contées, profitez de cette belle occasion pour redécouvrir ce cours d’eau qui coule à deux pas de chez vous. C’est plus de deux mille ans d’histoire qui sont à portée de pas.

Si c’est la Loire que je connais le mieux, n’ayez crainte, les légendes se ressemblent, les aventures humaines sont souvent voisines. Je peux venir à vous sans que ma bourriche à malices soit vide. Il y a toujours matière à récit le long d’une rivière ou d’un canal. J’ai aussi quelques chansons si vous voulez prolonger la balade par un spectacle. Mes amis les musiciens se feront alors un plaisir de vous jouer une aubade à votre arrivée.

N’hésitez surtout pas à me contacter. Je ne vais pas vous ruiner. Au terme du voyage vous serez bien plus riche qu’au départ, d’histoires et de découvertes, de rencontres et de bonheur. La veillée d’autrefois se fait désormais au pas du flâneur bienheureux, de l’arpenteur attentif, des pérégrinations curieuses . Suivez le conteur, nous n’avons pas besoin de guide ! Je ne vous mènerai pas en bateau, je laisse à d’autres le soin de le faire, certains s’y entendent si bien ! Merci à tous de votre attention.

Baladement vôtre.

Photographies Jean-Luc Philippe
 

mardi 21 novembre 2017

Souffler n’est pas jouer



Sur un air d’accordéon



Il était une fois un forgeron qui disposait d’un soufflet gigantesque qu’il fallait actionner avec une longue et pesante chaîne. Sa forge produisait un vacarme épouvantable qui effrayait d’autant plus les enfants du village que l’artisan, un véritable colosse, frappait comme un sourd sur son enclume. Tout près de son atelier, la terre tremblait, le tonnerre ne cessait de faire tressaillir les passants.

Le forgeron avait besoin d’un assistant, un souffleur de vent pour que le charbon entre en incandescence. C’est un enfant qui était ainsi attaché à ce labeur fort peu humain. Le pauvre gamin devait à la fois supporter une chaleur digne des portes de l’enfer et un bruit à vous damner. Il dépérissait à vue d’œil et avait une tristesse dans le regard qui en disait long sur le calvaire qu’il avait à subir.

Le forgeron n’était pourtant pas un mauvais bougre mais il ignorait tout des droits de l’enfant, de la vie au grand air et des charmes de la nature. Il avait lui aussi passé sa jeunesse à actionner le terrible soufflet puis était passé de l’autre côté pour manier le marteau sans jamais sortir de cet espace clos et bruyant, de cet antre de Satan.

Cyril, son jeune assistant n’entendait pas rester attaché toute sa jeunesse à ce travail de forçat. Il avait dans la tête des envies d’évasion, des désirs de jeu et de grands espaces. Il en fit part un jour au maître du feu qui s’emporta à cette idée saugrenue. « Souffler n’est pas jouer petit drôle. Tire sur la chaîne et laisse donc tes rêves de liberté ! »

L’enfant avait baissé la tête et s’était remis à l’ouvrage. Mais dans son esprit, il était désormais clair qu’il devait trouver une échappatoire, une porte de sortie à son calvaire. Un jour, la destinée lui sourit par le truchement d’une jeune enfant qui jouait un peu plus loin, de l’autre côté de la ruelle. La petite fille avait un drôle de jouet en bois, un petit piano miniature comme il s’en faisait alors.

Malgré le vacarme de la forge, le gamin parvint à saisir quelques sons épars. Il était conquis par ce qu’il percevait et n’eut de cesse que de désirer accéder à ce jouet. Il fut patient. La gamine avait la chance d’être née sous une bonne étoile, elle avait tout ce qu’elle voulait et se lassa bien vite de ce petit instrument qu’elle abandonna un soir devant le pas de sa porte, oubliant négligemment de le ranger.

Le servant du soufflet profita de la nuit pour aller quérir cet objet qu’il cacha dans un recoin de la forge. Le gamin avait une idée en tête, une drôle de pensée lui ayant traversé l’esprit en percevant quelques notes jouées par la voisine. Il se mit à réfléchir, lui qui avait tout le temps pour ça, attaché qu’il était à ce poste de travail si rébarbatif et répétitif.

Il sacrifia de nombreuses heures de sommeil pour réaliser son projet, en cachette naturellement du forgeron qui n’était pas homme à tolérer la moindre fantaisie. Le gamin observa attentivement le jouet, chercha à en comprendre le fonctionnement, échafauda des hypothèses, se mit au travail pour lui apporter d’étranges modifications. Il avait désormais une idée fixe, une idée soufflée par la providence.

Il voulait se libérer de son esclavage sournois. Il avait entrevu une petite lucarne, un espace de ciel bleu et de mélodie. C’est ainsi qu’il franchit le pas et osa modifier l’instrument de torture qui faisait de lui un galérien du vent. Il équipa son soufflet, par un habile procédé, de ce petit instrument qu’il avait considérablement modifié. D’une main, il actionna la lourde chaîne, de l’autre, il appuya sur les touches du petit clavier.

Le miracle eut lieu. Le maudit soufflet était devenu mélodieux. Au matin quand le forgeron revint dans son atelier, il découvrit atterré la transformation. L’homme n’était pas de nature à supporter pareille fantaisie. Il remonta vertement les bretelles de son apprenti. Mais le gamin s’était préparé à pareille réaction et sans y accorder la plus petite importance, se mit en action.

Le forgeron tomba sous le charme des notes qui désormais remplaçaient l’affreux essoufflement asthmatique de son ventilateur mécanique. La bête se transforma en mélomane car la musique adoucit même les êtres les plus rustres. Il se mit à frapper l’enclume en cadence, pour souligner les mélodies du gamin.

Dans la ruelle, un attroupement se fit, le vacarme habituel avait changé de nature. Il se passait quelque chose d’incroyable dans l’atelier du forgeron. Un curieux, plus hardi que les autres s’aventura dans l’atelier pour demander le nom de cet étrange chose. Le gamin, qui auparavant ne se serait jamais aventuré à parler devant un visiteur, dit fièrement : « Le piano à bretelles ! ».

L’accordéon venait de voir le jour. Il fallut naturellement bien des transformations encore pour que l’instrument quitte la forge et mette le feu à toutes les pistes de danse. Mais c’est bien le petit Cyrill Demian qui fut à l’origine de cette invention extraordinaire. Nous étions en 1829 et de ce jour, les souffleurs de vent allaient pouvoir réjouir le bon peuple.

Mélodiquement sien.


dimanche 19 novembre 2017

Le mot de la fin.


Pour tuer le temps !


Voilà, le verdict est tombé : il convient de tuer le temps. La décision s’impose à nous ; le temps est passé de mode : il a fait son temps. Il n’y a plus à revenir sur la chose :  «  à la vie, à la mort ! » aurait pu hurler le bourreau, chargé d'abattre son arme d’abattre son arme sur celui qui avait tant aimé marquer nos existences. Le temps révolu, il n’y avait plus aucun espoir d’envisager l’avenir, de considérer le présent et de se souvenir du passé. L'exécution à venir allait saper les bases de notre société.

Le temps, pour sa défense, avait présenté de bien pauvres arguments. Son bilan était si médiocre que les jurés ne prirent pas pour argent comptant ces arguties passées de mode. Le temps avait bégayé, avait répété sans cesse les mêmes propos qui avaient fini par lasser l’assistance. Il revenait toujours au même point, semblant ne pas parvenir à développer sa pensée.

L’accusation a été impitoyable.  «  Le temps s’est fourvoyé, il a pris ses désirs pour des réalités. Le temps tourne en boucle, son cycle quotidien manque de ressort, il n’a pas réagi quand les hommes ont voulu remonter son cours. Le temps s’est étalé, sans pudeur, sans retenue. Un grain de sable étant venu s'immiscer dans son immuable répétition ».

Des experts vinrent témoigner de sa vacuité.  «  Le temps dessert les hommes, les force à courir après lui, leur impose des cadences infernales. Le temps est impitoyable pour ceux qui en manquent, trop généreux pour ceux qui ne le mesurent pas. Pire que tout, le temps se monnaie, fixe un barème pour son usage. Il se vend au plus offrant et se donne à notre dernière heure ! »

Des témoins de moralité osèrent affirmer que tout est relatif, que le temps dépend de notre perception, qu’il ne sert à rien de l’accuser de tous nos maux. Le temps serait ainsi victime de nos faiblesses. Quand nous prenons plaisir, nous l'abolissons et dans l’ennui nous l’étirons sans fin.

« C’est justement le problème avec le temps : il veut toujours avoir le mot de la fin , rétorqua l’un de ses plus virulents pourfendeurs. Le temps est fondamentalement mauvais, surtout après ce printemps pourri et cet été qui s’annonce maussade. Le temps joue sur nos nerfs et affecte notre moral ». La charge était terrible mais le pauvre homme s’était trompé de temps ! Il était fait …

« Le temps n’a jamais fait la pluie et le beau temps lui-même, déclama l’avocat en une tirade dont il avait le secret. Le temps ne se mesure pas, il s’égraine, il file entre les doigts. Ne pensez pas le tuer avant de l’avoir attrapé ; ce serait encore une fois se jouer d’une illusion éternelle. Le temps est intemporel et c’est bien ce qui vous met en rage ».

Malgré le talent de l’orateur le verdict tomba sans appel. Le temps était révolu ; il fallait le tuer sans autre forme de procès. Le temps ne pouvait faire appel ; sa dernière heure avait sonné et la sentence devait s’appliquer dans l’instant. Mais comment déterminer cet instant en l’absence de collaboration de la victime ? Le temps n’avait pas l’intention de se laisser tuer sans abattre sa dernière carte.

Et voici que le temps abolit l’espace en même temps que lui-même. Le tribunal disparut dans les limbes ; la fin des temps venait de s’opérer. Le temps avait réchappé à la folie des hommes qui en voulant tout plier à leurs désirs venaient de se perdre à tout jamais. Le temps sortait triomphant, du moins le pensait-il. Mais bien vite, il déchanta ! Sans les hommes, qui pouvait bien encore accorder la plus petite importance à son existence ?

Le temps était de la revue. Il s’était tiré une balle dans le pied. L’anéantissement de l’humanité fut son coup de grâce. Le temps avait commis sa plus grande bourde et le glas qui sonnait au loin annonçait la nuit des temps. Finalement, le temps se suicida dans un ultime geste de désespoir. Dieu ne vit pas d’un très bon œil ce coup de poignard dans le dos. Sa créature la plus aboutie venait de lui faire faux bond.Le jour se leva sur un vide intemporel,

L’enfer pouvait ouvrir grandes ses portes. Il y avait foule à prétendre se réchauffer à ses flammes pour l'éternité. Hélas, là aussi, tout n’était plus que poussière : le temps disparu, plus rien de ce qui avait été ne pouvait être. Le billet pouvait tirer à sa fin, le temps était venu de placer un point final à cette histoire.

Temporellement vôtre.




jeudi 16 novembre 2017

La légende de l’île.



La maison hantée



Il est quelque part une île de Loire habitée par une poignée de familles. Pour rien au monde, celles-ci ne céderaient leur place aux gens d’en face, de l’autre côté d’un petit bras de rivière et qu’ils nomment « Ceux du continent ! » La vie en ce lieu tranquille est ponctuée des incidents qu’occasionnent parfois une traversée aventureuse mais ceci est le prix à payer pour un bonheur à nul autre pareil !

En cet endroit paradisiaque se dressait jadis un manoir abandonné. La vieille bâtisse avait subi les assauts du temps : elle était si délabrée qu’elle constituait un danger pour les enfants qui sont toujours à l’affût dune bêtise à commettre. Sachant qu’il n’est rien de moins efficace que d’interdire, les adultes imaginèrent une légende afin d’éloigner les garnements des murs en équilibre précaire.

Quand il s’agit d’effrayer un enfant, loups et fantômes sont souvent convoqués par des adultes en mal d’imagination. Ceux-là choisirent la sorcière : cette vieille recette qui a le mérite d’être universelle, quelles que soient les régions. Pour renforcer la crainte, ils n’hésitaient pas à se substituer à la pauvre femme, jouant les spectres en hurlant la nuit, quand les enfants passaient à proximité du manoir.

Pour justifier la présence de la pauvre femme, ils avaient créé de toute pièce une fable à dormir debout. Leur univers intime tournait autour du passage du bras et c’est naturellement là que se trama le drame qui installa la sorcière parmi les résidents de l'île. Nous allons de ce pas entrer dans la légende, pardonnez-moi si elle vous semble banale ; c’est ainsi pourtant qu’elle me fut rapportée.

Il y a bien longtemps, la fille des propriétaires d'un manoir magnifique sur le continent, s’était éprise d’un garçon vivant sur l’île. La belle et son amoureux n’avaient qu’une idée en tête : consommer leur union au plus vite, célébrer charnellement leur amour avant que de sceller ce pacte devant monsieur le curé. C’était une époque où les mœurs n’étaient pas aussi libres qu’aujourd’hui et où la communauté veillait au grain afin d’éviter la faute.

Pourtant, un jour, les deux tourtereaux parvinrent à échapper à la surveillance de tous. Ils avaient profité d’une fête votive sur le continent pour prendre la poudre d’escampette, emprunter une barque et aller découvrir les joies de la fusion de deux corps qui s’aiment et qui vibrent dans le manoir vide de l'île. Ce qui se passa dans les murs de la belle demeure, nul n’en saura rien. Il se murmure que de longues plaintes montèrent dans la vallée sans que personne ne comprît de quoi il en retournait.

Ayant à plusieurs reprises découvert les mystères des frissons et de la pâmoison, le jeune couple, uni devant Cupidon en personne, voulut regagner le monde de gens ordinaires. Hélas, durant les ébats tumultueux des toutereaux, la Loire avait forci, le courant et le vent s’opposaient, rendant délicate la traversée du retour . Le jeune homme, tout étourdi encore par les assauts frénétiques qu’il avait fait subir à sa belle, avait les jambes flageolantes et le souffle court.

Il commit une maladresse qui lui fut fatale. Une glissade le fit basculer dans les flots et, sous le regard horrifié de la belle, le tendre cavalier disparut dans la Loire en colère. La pauvrette avait connu des noces bien trop courtes ; le temps du deuil était désormais son unique perspective. Elle hurla de douleur et en perdit la tête dans l’instant. Nul jamais ne la revit …

Depuis ce jour sinistre, la maison fut hantée. Des cris déchirants accompagnaient ceux qui voulaient s’en approcher. C’est du moins ce que racontaient les adultes aux enfants de l’île, jusqu’au jour où les gamins, qui depuis longtemps, n’étaient plus dupes de la supercherie, prirent l’initiative de servir aux plus grands la comédie qu’on leur offrait depuis si longtemps.

Les chenapans sont dans la farce bien supérieurs à leurs géniteurs. Ils usèrent de bien plus de stratagèmes que les pauvres cris que leur dispensaient sans conviction des adultes en mal d’imagination. Ils prirent flambeaux et vieux draps, oripeaux et cornes de brume. Ils firent tant et si bien que ceux qui avaient maintes fois répété la légende se mirent à trembler d’effroi et prirent pour argent comptant ce que, jusqu’alors, ils répétaient sans conviction.

C’est ainsi que les adultes furent convaincus de la véracité de leur fable et que les enfants les laissèrent croire à cette sornette. Depuis, les enfants de l’île disposèrent d’un formidable terrain de jeu sans que jamais un adulte ne se risquât à venir les déranger. Voilà ce qu'il advient quand on instrumentalise les peurs et les angoisses. Que cela serve de leçon à tous ceux qui seraient tentés d’user de la chose pour nous faire avaler des couleuvres ! …

Arrosement leur.

  Histoire recueillie de Souzay dite Île de Trotouin

Les « tailleux de douzils »

  Les « tailleux de douzils » Notre Vardiaux, beau et fier bateau Oh grand jamais ne transportait de l'eau Rien qu...