mardi 31 octobre 2017

La mort en question

La mort en question


Faut-il un silence de mort pour célébrer les défunts ?
Peut-on sentir le dernier souffle de la mort ?
Doit-on souffrir mille et une morts pour en faire un conte macabre ?
Un manchot peut-il lui aussi être à deux doigts de la mort ?
Est-il possible de mourir en paix lors d'un conflit armé ?

Au terme d'une vie de chien, est ce que mourir de sa belle mort est une consolation acceptable ?
Comment un S.D.F. peut-il se retrouver sur son lit de mort ?
Un athée peut-il avoir la mort dans l'âme ?
Est-il facile de se consoler d'une peine de mort ?
Pourquoi ne voit-on jamais d'enterrement en grande pompe pour une petite mort ?

Est-il envisageable d'organiser des paris sur les mises à mort ?
La cécité vous exonère-t-elle de voir la mort de près ?
Un revenant est-il sujet à la mort apparente ?
Prend-on du plaisir dans une pulsion de mort ?
Les prisonniers sont-il condamnés à la mort cellulaire ?



Une forte migraine peut-elle entraîner une mort cérébrale ?
Est-il préférable de se poser des questions de vie plutôt que de mort ?
Faut-il faire tout en fromage quand quelqu'un crie mort aux vaches ?
Est-ce parce qu'il roulait à tombeau ouvert qu'il a freiné à mort ?
Peut-on défier la mort en duel ?

Que peut récolter celui qui sème la mort ?
Comment nomme-t-on celui qui entraîne la mort ?
Faut-il courir vite pour échapper à la mort ?
Peut-on tromper la mort éternellement ?
Est-ce que c'est une question de courage quand on veut braver la mort ?

Peut-on en vouloir à mort à quelqu'un sans désirer son trépas ?
Combien de plots faut-il pour baliser à mort ?
Donner la mort est-il un acte gratuit ?
Celui qui trouve la mort l'a-t-il beaucoup cherchée ?
Faut-il l'aimer vraiment pour flirter avec la mort ?



Faut-il être un intime pour être proche de la mort ?
Si la mort n'épargne personne pourquoi lui fait-on tous don de notre personne ?
Quel outil prendre pour arracher quelqu'un à la mort ?
Celui qui ne la craint pas, peut-il mourir de peur ?
Des mots peuvent-il causer la mort de quelqu'un ?

Dispose-t-on de plusieurs essais pour tenter la mort à quelqu'un ?
Peut-on désirer la mort sans l'aimer ?
Faut-il qu'elle ait beaucoup insisté pour finir par accepter la mort ?
Un corbillard est-il un engin de mort ?
Attendre la mort, n'est-ce qu'une question de patience ?

Faut-il la voir de face pour affronter la mort ?
Un faire-part est-il une lettre morte ?
Peut-on s'exposer à la mort en dehors des musées ?
Est-il nécessaire de porter un uniforme pour livrer quelqu'un à la mort ?
Faut-il rester sourd à celui qui hurle à la mort ?

Macabrement vôtre.


lundi 30 octobre 2017

Un drôle d'oiseau



Bredouille et en quenouille ! 

 

Il était un homme malheureux comme les pierres qui affleurent au moment de l'étiage. Il avait la redoutable réputation d'être le plus malhabile des pêcheurs du pays. Le pauvre bonhomme avait beau s'escrimer, jamais il ne sortait la moindre prise. Ses confrères riaient sous cape, repéraient où il allait se poster pour fuir immédiatement ce secteur. Pour tous, il était porteur d'une malédiction piscicole : un mauvais œil de poisson sans doute !

C'était une époque où pêcher n'était pas un loisir mais une nécessité alimentaire. C'était aussi un temps où la Loire regorgeait de poissons ; la folie des hommes n'était pas encore passée par là. Le saumon, l'esturgeon et le brochet étaient les prises du roi, l'alose ne boudait pas notre rivière et les petites espèces permettaient d'assurer l'ordinaire. Chacun y trouvait de quoi satisfaire ses besoins de protéines sans rien connaître de ce mot étrange.

Alors, l'éternel pêcheur bredouille non seulement était moqué mais également montré du doigt. La moindre différence vous met en marge de la communauté ; la chose n'est ni nouvelle ni près de s'estomper. Cette étrangeté faisait de lui un paria, un être qu'il fallait éviter. Sans proches , sans amis, il était désespérément seul. Pire encore, nulle demoiselle n'aurait envisagé de marier sa destinée à ce porte-poisse, ce pestiféré de la rivière. Il se morfondait à la lisière du village, refusant d'accepter cet ostracisme qui pesait sur lui.

Il multiplia les expériences pour briser la malédiction mystérieuse qui était sienne . Il concocta de curieuses nasses, d'étranges dispositifs pour enfin réussir à piéger les hôtes de l'onde. Rien n'y faisait jamais ; il relevait des engins désespérément vides et, pour ajouter à son déshonneur, il se trouvait toujours un gamin,tapi dans un fourré, pour observer le « relevage » et porter bien vite la nouvelle …

Un jour, n'en pouvant plus de ce mauvais sort qui s'acharnait sur lui au-delà du supportable , il se décida à consulter un sorcier. Il n'était pas rare à l'époque que les gens d'ici aillent quémander les services d'un jeteur de sort, d'un rebouteux ou d'un barreur de feu. Ces personnages mystérieux avaient plus d'un tour dans leur besace et étaient capables des pires diableries.

L'éternel bredouille confia sa peine à l'homme des potions et des rituels. Celui-ci écouta attentivement ce récit qui lui semblait des plus banals. L'envoûtement passe aujourd'hui pour une hérésie des époques obscures ; prenez bien garde cependant de ne pas réveiller les forces occultes en méprisant leur existence ; vous pourriez vous en mordre les doigts !

Le pêcheur stérile avait frappé à la bonne adresse. L'homme avait commerce avec Lucifer ; il savait quoi faire. Il pratiqua une cérémonie dont je me refuse à vous dévoiler la teneur ; je ne souhaite pas être confronté à vos sarcastiques remarques d'incrédules. Ce que vous devez savoir c'est que le sorcier mit en garde notre piteux héros: « Je peux faire de toi un pêcheur redoutable. Mais prends bien conscience que ce mystère pourra à tout moment se retourner contre toi ! »

Le pauvre homme était dans un tel besoin de normalité, qu'il repoussa d'un revers de main cette mise en garde. Il n'avait qu'une idée en tête : être comme les autres et abolir cette fâcheuse particularité qui le mettait au ban de sa communauté. Ah ! pouvoir enfin trouver une compagne, effacer cette image de maudit collée à sa peau !

Le sorcier lui fit alors boire une tisane au goût amer. La potion était si mauvaise qu'il en eut des haut-le-cœur. Puis, étrangement, rien ne se passa et l'homme rentra chez lui avec le sentiment d'avoir été floué. Le sorcier voyait bien que son pouvoir était remis en cause ; il s'en moquait. Lui était certain de son fait ….

Le pêcheur impuissant se réveilla comme les autres jours. Rien n'était changé en lui. Il se dit qu'en allant le matin même en bord de Loire, il allait pouvoir constater si le miracle avait lieu. Il s'équipa et partit à cette heure magnifique où la brume flotte à la surface de l'onde. Le soleil pointait timidement au-dessus de ce rideau délicat.


Il s'installa dans un lieu isolé, en effet il avait pris l'habitude de fuir les regards et les curiosités mal placées ; bien lui en prit car ce qui se passa alors l'aurait condamné, à coup sûr, au bûcher. Il voulut se mettre en action, tendre ses engins mais il sentit son corps se transformer comme s'il se contractait, se dissolvait, explosait intérieurement. Il perdit connaissance.

Quand il retrouva ses esprits, il survolait la rivière. Il planait si haut qu'il n'en croyait pas ses yeux. Que se passait-il ? Il se sentit soudain fondre sur l'eau. Il piqua, telle une pierre qui tombe d'une falaise, et plongea dans la Loire. Il en ressortit avec un beau brochet entre ses serres. Il était devenu un grand oiseau pêcheur : un magnifique rapace piscivore que nul n'avait jamais observé chez nous.

En quelques voyages, il avait empli sa besace. Le charme pouvant se briser, une nouvelle explosion se fit en lui et il retrouva son aspect humain. Il rentra, fier comme Artaban, voulant montrer à qui voulait bien y prêter attention, sa pêche miraculeuse. La nouvelle circula dans le pays comme une traînée de poudre ; la foule des curieux se précipita pour voir le prodige.

Passée l'euphorie de ce retour en considération, l'homme découvrit bien vite qu'un autre mystère planait désormais sur lui. Devenu l'objet de nouvelles rumeurs, jalousé par ceux qui, jusqu'à ce jour mystérieux, étaient plus habiles que lui dans l'art de la pêche, il fut encore plus pisté qu'auparavant. Il devait se cacher pour partir à la pêche, chercher des endroits de plus en plus éloignés, de plus en plus secrets.

Il n'en pouvait plus, d'autant que les dames n'avaient toujours pas tourné leurs regards vers lui et que sa vie redevenait un calvaire. Il s'en retourna voir le sorcier. Il avait été prévenu, lui fit remarquer ce dernier, il devait assumer ce qu'il était désormais impossible de défaire. La seule chose que le magicien pouvait pour lui, c'était de le maintenir définitivement dans son état animal.

Le pauvre homme n'eut pas longtemps à réfléchir. Il prenait un tel plaisir, si haut dans le ciel, qu'il accepta sur le champ et but une nouvelle potion sans se soucier de son amertume. C'est par la fenêtre qu'il quitta définitivement sa vie d'humain et cette masure diabolique. A la vue de tous désormais, un nouvel oiseau planait dans le ciel de Loire.

La chose aurait pu en rester là. Mais le sorcier était un homme négligent et bien peu ordonné. En suivant des yeux le départ de ce bel oiseau, il s'était penché par la fenêtre pour observer son œuvre. Il y avait laissé sa fiole …

Une vagabonde passa par là, une pauvre hère sans âge que la vie avait maltraitée. La pauvrette allait par les chemins quémander ou voler sa pitance. Elle vit cette bouteille étrange ; elle avait grand soif et but ce breuvage si amer.

C'est depuis ce jour que, dans le ciel de Loire, on vit voler un, puis deux rapaces et par la suite, une nombreuse nichée. Les hommes appelèrent cette nouvelle espèce « Balbuzards pêcheurs ». Est-ce parce que les premiers d'entre eux avaient été un temps des humains repoussés de tous ? Toujours est-il que le bel oiseau vole bien haut dans le ciel, qu'il fuit la présence des curieux et qu'il se cache, pour faire son nid, dans la noirceur d'une forêt touffue.

Ces êtres autrefois disgraciés, qu'on les laisse en paix : ils ont enfin trouvé le bonheur, c'est bien la seule morale de cette histoire ! Celui à qui l'on n'accorde pas de place ici-bas peut toujours trouver sa voie dans un ailleurs qui lui appartient. J'en sais qui passent leur vie sur ou sous l'eau, d'autres qui explorent les profondeurs de la terre ou les sommets de nos montagnes. Il n'est pas besoin de consulter un sorcier pour fuir la triste réalité de nos misérables vie au ras du sol. Chacun peut trouver son royaume.



Aériennement leur.

dimanche 29 octobre 2017

La lanterne de Samonios …



Les trois sœurs Parques 
 


Il était une fois, en un temps très lointain, un village en bord de Loire, à la lisère de la Bretagne. Les uns prétendent que l'aventure se déroula là où se dresse aujourd'hui Mauves sur Loire, d'autres affirment que c'était à Oudon, à deux pas de là. Mais qu'importe la localisation exacte de cette étrange histoire, c'est de celle-ci qu'il faut se soucier ici …

Dans ce hameau, étaient trois sœurs qui avaient décidé de vivre ensemble tout en se passant du commerce des hommes. Elles prétendaient tenir des métiers qui étaient alors souvent réservés au sexe qu'on prétend fort. Les dames avaient du caractère en bonnes bretonnes qui se respectent ; elles avaient aussi du talent dans leur art, si bien que les clients jamais ne leur manquèrent, faisant fi de leur genre pourvu qu'elles travaillent aussi bien qu'un porteur de braies.

Arthémise, l'aînée maniait la forge et l'enclume ayant appris auprès de son père le métier de charron taillandier. Ses outils étaient célèbres dans toute la contrée pour leur finesse et leur robustesse. Elle avait d'ailleurs équipé sa cadette, Clothilde, des meilleurs instruments qui soient pour travailler le bois. Celle-ci était charpentière, comme elle aimait à dire. Elle avait de la magie dans les mains et ses pièces de bois étaient d'une beauté rare. Quant à la plus jeune, Nora, elle avait souhaité hériter de leur mère, le métier de tisserande. Elle créait les étoffes les plus solides qui soient dans le lin et le chanvre du pays breton.

Dans la demeure des filles Parques, le travail ne manquait jamais ! Les trois sœurs ne prenaient ni repos ni congés ; elles aimaient tant leurs métiers qu'elles y consacraient toute leur existence. Quand l'ouvrage de l'une exigeait de la main- d'œuvre, les deux autres lui fournissaient aide et conseils. Chacune était capable d'exécuter le travail de l'autre; c'est ce qui faisait leur force et leur grande réputation au-delà de leur province, en toutes les contrées de Loire.

Un soir de pleine lune (comment put-il en être autrement ?), un étrange personnage, maigre et élancé, au visage émacié, vint frapper à la porte des sœurs. Si l'homme avait une allure inquiétante, ce n'était nullement une raison pour lui proposer mauvais accueil. Les filles Parques n'aimaient pas juger les clients à leur mine, aussi, écoutèrent-elles attentivement ce visiteur d'un soir.

« Votre réputation est venue jusqu'à moi. J'arrive d'une région lointaine, si éloignée d'ici qu'il me semble bien improbable qu'un de vos voisins en soit revenu un jour. Pourtant c'est à vous que je souhaite confier un travail d'importance. J'ai besoin d'un bateau construit en un bois exotique : le mancenillier, que je vous ferai livrer par voie d'eau dès demain si vous acceptez ma commande. Je veux que tous les pièces de navigation soient en fer et j'ai entendu louer votre adresse en ce domaine. J'ai besoin d'une grande voile de lin que je veux noire comme la nuit et plus solide encore. Pour faire bonne mesure, j'ai besoin d'une faux dont le tranchant se situe à extérieur ! »

Les sœurs furent un peu surprises d'une telle commande. Cependant elles aimaient les gageures et l'homme leur en proposait une formidable ! Qui plus est, ce client peu ordinaire voulait être livré à la prochaine lune, le premier soir du mois de Samonios selon le calendrier celte encore en vigueur alors dans cette région. L'homme leur promettait une bourse pleine d'or si elles tenaient le pari. Elles acceptèrent bien légèrement, il me semble …

Le lendemain matin, tout ce qu'il leur fallait pour commencer cet incroyable chantier leur était livré par des serviteurs aussi peu ordinaires que leur maître. Les hommes ne dirent pas un mot, laissèrent les matériaux et disparurent aussi mystérieusement qu'ils étaient arrivés. Pourtant, une fois encore, rien ne semblait arrêter les sœurs Parques dans leur volonté de venir à bout de ce défi.

Elles se mirent au travail. La forge ne cessa de brûler durant la première semaine. Puis ce fut au tour des lames de couper le bois tandis que le rouet tournait sans arrêt. La maison était une ruche, l'atelier une fourmilière. Il y avait toujours du mouvement, du bruit, des femmes en action, allant en tous sens. Elles n'étaient que trois ; elles semblaient bien plus …

L'ouvrage avançait. Les voisins venaient regarder en s'interrogeant sur le mystère qui prenait corps sous leurs yeux incrédules. Le client, dont personne se savait rien, avait laissé des consignes précises, des plans et des dessins sur de curieux parchemins. Les sœurs accomplissaient des prouesses pour respecter un délai que nul charpentier naval n'avait jusqu'alors tenu pour construire un bateau. En plus, elles armaient le bateau pour qu'il soit prêt à servir le soir prévu de la livraison. Manifestement, c'est la belle embarcation d'un passeur qu'elles réalisaient là.

Le soir de la commande était venue. Le travail était achevé. Arthémise, Clothilde et Nora n'avaient guère pris de sommeil durant cette lune. Elles n'en oubliaient pourtant pas la fête de Samain qui devait se tenir cette nuit là. Arthémise prépara selon la tradition, un formidable feu dans la cheminée et posa sur la table des bûches afin que de mystérieux visiteurs puissent se chauffer pour leur long voyage. Clothilde avait mis à cuire de succulentes pâtisseries et elle les avait laissées, elle aussi, sur la table pour les inconnus qui étaient attendus. Quant à Nora, elle avait trouvé le temps de tisser de grandes capes qui étaient également promises à ceux qui devaient passer dans la nuit …

Ayant respecté la coutume comme elle se pratiquait alors, les sœurs Parques, l'esprit tranquille s'étaient rendues en bord de Loire pour livrer leur ouvrage à celui qu'elles attendaient. Celui-ci arriva bien après le coucher du soleil, au moment où la Lune, grosse et ronde montait fièrement dans le ciel. L'homme était encore bien plus inquiétant que lors de sa première visite. Dans la nuit , ses yeux brillaient d'une curieuse lueur.

Il admira le travail des trois sœurs. C'était en tous points semblable à ses désirs. Il se frottait les mains, jamais on ne lui avait construit un bac aussi élégant , une faux aussi fine et tranchante, une voile aussi noire et solide. Fou de joie, il se mit à sauter , se lançant dans une danse diabolique avant de retrouver ses esprits. Il récupéra ses parchemins afin que nul ne puisse reconnaître son bateau.

« Mesdames, vous avez réalisé des merveilles. Vous méritez bien l'immense récompense qui vous attend sur l'autre rive : une bourse pleine de belles pièces d'or comme jamais vous n'en avez eu. Mais pour la mériter , il faudra m'accompagner et remplir une petite condition. Vous tiendrez une chandelle et , si celle-ci ne s'éteint pas durant la traversée, vous serez payées au-delà de vos espérances. Mais si la flamme vient à disparaître, vous devenez mes passagères et jamais vous ne reverrez les rives de la Loire ! »

N'importe quelle femme de ce pays se serait enfuie mais point nos sœurs Parques. Elles se concertèrent et la cadette se précipita dans le jardin de la maison et revint avec une belle gourde pèlerine appelée encore calebasse quand on la vide. Sa sœur la creusa avec l'adresse de celle qui manie le couteau à bois en façonna une lanterne dans laquelle l'aînée fixa soigneusement la chandelle.

Le mystérieux client regardait d'un air sardonique ces préparatifs qu'il jugeait vains. Sûr de son pouvoir, il embarqua les dames, certain d'avoir gagné de nouvelles âmes. Subitement, au milieu de la Loire, le vent se leva et souffla avec une force incroyable. Dans le même temps, des trombes d'eau tombèrent du ciel. La rivière s'agita, le bateau allait au gîte. Mais rien n'y fit ; la chandelle continua de briller fièrement à l'abri de sa calebasse, accrochée solidement à la vergue.

Arrivé à l'autre rive, l'Ankou, puisque c'est de lui qu'il s'agit, dut reconnaître sa défaite. Il remit à contre-cœur une grosse bourse aux trois sœurs et disparut sur la Loire à bord de sa célèbre barque . Beaucoup de gens du pays eurent un jour à utiliser le bateau et son étrange capitaine. Aucun n'en revint jamais. Seules les sœurs Parques avaient vaincu le démon.

Pour revenir chez elles , elles durent faire un grand détour en allant chercher un pont fort loin sur la Loire car l'Ankou, mauvais joueur, ne les avait pas reconduites sur la bonne rive. Enfin elles retrouvèrent leur demeure. Les présents qu'elles avaient laissés sur la table, avaient disparu. Leur client manifestement , avait eu le temps de trouver des passagers pour la traversée dans l'autre monde et ces derniers étaient venus quérir les présents pour ce long voyage. Longtemps, très longtemps encore, le bateau de l'Ankou remplit son terrible office. Il faut dire que les sœurs avaient fait du bel ouvrage.

De nos jours, certains prétendent creuser des citrouilles pour célébrer la nuit des défunts. S'ils réveillent ainsi de vieilles légendes celtes, s'ils commémorent sans le savoir la fête de Samonios, ils commettent une grave erreur, les cucurbitacées en ce temps-là n'étaient pas connues en Europe. Riez donc sous cape et pensez, en voyant leurs grimaces feintes, qu'il faut être bien gourde pour confondre une calebasse et une citrouille. Les sœurs Parques ne s'y étaient pas trompées et c'est ainsi qu'elles purent vivre le reste de leur âge. On ne s'approprie pas une légende ancienne sans en connaître la véritable histoire. C'est la seule morale de cette fable de Loire …

Quant à ceux qui croient aux pitreries d'Halloween, il se murmure que jamais les sœurs ne dépensèrent les pièces d'or gagnées de si étrange manière. Elles se dépêchèrent de les enterrer bien vite dans leur jardin. Il se dit qu'en ce lieu mystérieux, poussent encore des « Cucurbita lagenaria ». C'est ainsi qu'il vous sera possible d'employer votre soirée à des choses bien plus utiles ; au lieu d'importuner les braves gens, cherchez donc le trésor des sœurs Parques quelque part entre Mauves et Oudon.

Celtiquement vôtre

 

samedi 28 octobre 2017

Changez d'heure si vous avez du temps devant vous !

Le temps en question



Comment se repartir équitablement le temps qui nous est imparti ?
Le temps écoulé provient-il d'une fuite temporelle ?
Peut-on être pour un contre-temps ?
A-t-on vraiment mesuré la portée du temps ?
Marque-t-on un temps d'arrêt avant de tuer le temps ?



Doit-on octroyer une minute de silence en hommage au temps mort ?
Est-on certain de la durée d'un temps incertain ?
Les conscrits connaissaient-ils la durée de leur temps prescrit ?
Quel prêtre est en mesure de consacrer le temps ?
Peut-on se faire fort d'imposer un temps faible ?


La prière est-elle un temps béni ?
Un gain de temps, est-ce encore de l'argent ?
L'échelle du temps nous mène-t-elle au ciel ?
Prend-on assez de précautions en gravissant la marche du temps ?
Si le temps joue contre lui, finit-il par gagner ?



Peut-on prendre la mesure du temps ?
Les temps reculés finissent-ils dans le mur de Planck ?
Comment se fait-il que le temps nous manque alors qu'il nous en reste encore ?
Le temps des cerises fut-il le noyau dur de la contestation ?
Dans la nuit des temps, que faisait-on du plus clair de son temps ?



Faut-il prendre du recul quand on est en avance sur son temps ?
Faut-il avoir bon goût pour meubler le temps ?
Est-ce que se ménager du temps est une préoccupation domestique ?
Existe-t-il des moyens pour remonter le temps ?
Est-ce que tromper le temps est un motif de rupture ?



Quel est le propre d'un sale temps ?
Peut-on se permettre d'arrêter un temps qui file trop vite ?
Peut-on se payer du bon temps à crédit ?
Le temps finit-il toujours par vous présenter la note ?
Pourquoi le temps présent n'est-il jamais un cadeau ?



Où va le temps qui passe ?
Un temps libre supporte-il d'être mis aux arrêts ?
Est-ce logique que le temps complet refuse du monde ?
La division du temps laisse-t-elle des restes ?
Le partage du temps est-il automatiquement partiel ?



La concordance des temps justifie-t-elle une telle discordance ?
Un temps composé peut-il aisément se décomposer ?
Ai-je bien employé mon temps ?
Aurons-nous le temps de terminer sur un dernier soupir ?
Est-ce notre linceul que file le temps ?



Peut-on expirer son dernier souffle avec l'air du temps ?
La mort est-elle un temps de repos ?
Pour défier le temps faut-il être un trompe-la-mort ?
Un temps fixé vous donne-t-il accès à l'éternité ?
Est-ce que la fin détend ?

Temporellement sien


vendredi 27 octobre 2017

Sans tes souliers …


Sans tes souliers …


Ami quitte tes souliers
Accepte ce jeu enfantin
J’ai envie de te guider
Vers un étrange destin

Tu va me suivre ainsi
En gardant les yeux fermés
Dans un merveilleux pays
Où l’on croise lutins et fées
Tu écouteras sans bruit
Ce que je vais raconter
Simples Bonimenteries
Venues d’un monde à rêver

Tu en seras le héros
Un gentil personnage
Descendu de ton bateau
Au milieu du voyage
Pour sauver la belle Margot
Et son précieux pucelage
Que de vilains saligots
Voulaient prendre en partage

Tu deviendras un marin
Partant à l’aventure
Vers l’Océan Indien
Après une nuit de biture
Sur un curieux parchemin
Tu posas ta signature
Mettant en jeu ton destin
Car tu es de bonne nature

Tu croiseras un vizir
Qui t’offrira d’être l’amant
En une seule nuit de plaisir
Des princesses de l’Orient
Puis quand tu voudras partir
Tu connaitras les tourments
Tu devras alors pâtir
D’un effroyable châtiment

Tu émergeras plus tard
Dans une forêt étrange
Poursuivi par des renards
Qu‘une fringale démange
Ce n’était qu’un traquenard
Fomenté par des anges
Qui dans ce vil lupanar
Proclamaient tes louanges

Quand arrivera la fin
De ce rêve éveillé
Tu seras bien plus malin
Tout au bout de la veillée
Tu te penseras devin
En trinquant à ma santé
Remettant tes mocassins
Pour revenir sur ton passé



jeudi 26 octobre 2017

Le vieux brochet


Le vieux brochet




Un vieux brochet aux aguets
Guettait sa future proie
C'est un goujon en tournée
Qui vint s'offrir à son choix

Il s'avança sous son nez
Innocent et fort placide
Le carnassier alléché
S'il s'était montré avide
N'en aurait fait qu'une bouchée
Sans la moindre distinction
Quand avant de l'avaler
Le gourmand eut un soupçon

Cette onde était si troublée
Il percevait quelques signes
Incitant à se méfier
De la friture sur la ligne
Brochet retenant son geste
Bouche bée lors se figea
Devant goujon qui du reste
Se refusait au trépas

« Je ne suis pas aussi frais
Que mon ami le gardon
Son œil rouge vous effraie
C'est tromperie de luron ! »
Brochet se dit dans l'instant
« Je me fais végétarien »
Et goujon reconnaissant
Lui octroya du vieux pain

Le croûton était si dur
Qu'il se brisa toutes les dents
Ainsi finit l'aventure
Du carnassier en pâture
Qui mange dans le courant
Se méfie des poissons blancs
Ils ne sont pas bon conseil
Eux et tous leurs pareils

Le vieux brochet aux aguets
Attendait son futur mets
C'est un mitron en tournée
Qui lui offrit sa fournée


mercredi 25 octobre 2017

La légende de Saint Amour !


Le mariage impossible …




Il était une fois, en une époque très lointaine, un village en bord de Saône qui était le point de rencontre des nautiers et des bêcheuses ne trouvant pas époux. Durant une semaine, à la mi-février, il y avait là sur la rivière un grand rassemblement de bateaux, tous alignés à la queue leu leu sur le quai. Chaque bateau avait sur son pont un abri de fortune, une cabane ou bien un refuge confortable pour célébrer le rituel des mariniers à marier.

Les batelières, marinières et bêcheuses qui espéraient trouver un cœur à prendre avaient chacune une embarcation. Elles attendaient la nuit tombante, dans le secret d'un nid pas toujours très douillet, pour rencontrer celui qui désirait se faire apprécier d'elle par ses tendres baisers et ses caresses secrètes.

Si l'union consommée dans l'obscurité satisfaisait les deux amants, au petit matin, le jour se levait sur un couple qui allait être marié sans plus attendre dans l'église de Saint Amour. Si les corps n'avaient pas trouvé terrain d'entente, frissons communs et tendresse délicate, l'homme quittait l'embarcation avant les premières lueurs, dépité et honteux, pour tenter sa chance, le soir-même, sur un autre bateau.

C'était une époque où les mœurs étaient plus libres : l'église naissante acceptait que les mariages fussent consommés à l'essai et les futurs maris n'exigeaient pas de leur épouse une virginité qu'ils n'avaient pas non plus respectée. Cette étrange coutume, au bon plaisir du clapot de la Saône, amusait les gens du pays qui, d'ailleurs, prenaient un malin plaisir à se promener ces nuits-là en bord de rivière pour écouter, l'oreille aux aguets, les murmures et les soupirs qui montaient au-dessus des flots.

C'est une belle histoire d'amour qui pourtant mit fin à ce joli rituel. La marinière s'appelait Blanche ; elle était belle à vous damner mais se montrait si exigeante pour la célébration de la chair qu'elle repoussait chaque nuit celui qui s'était aventuré à lui offrir du plaisir. Elle reprochait toujours à ces mariniers, un peu rustres, des manières trop vulgaires, l'absence de délicatesse et un empressement si fréquent que la dame restait plus souvent sur le quai qu'elle ne montait à la vergue.

Pendant les premières années, nombreux étaient ceux qui tentèrent de la satisfaire. Puis au fil des sessions amoureuses, les bateliers à marier redoutaient tant les lazzis de leurs camarades au lendemain de leur défaite, qu'il y eut de moins en moins de postulants. Blanche se morfondait dans son coche d'eau : elle ne trouverait jamais celui qui la ferait se pâmer.

Pourtant, une nuit, un homme monta sur le pont. Dans la nuit noire, il frappa à la porte de sa cabane et Blanche l'invita à entrer. Ce qui se passa alors, nul ne le saura jamais. Ceux qui entendirent leur mélodie d'amour en gardèrent un souvenir impérissable. Les badauds, les curieux, les oiseaux, les castors, les poissons eux aussi se regroupèrent pour écouter ces murmures qui montaient du bateau en une ode merveilleuse à la félicité.

Pourtant, avant que le soleil ne se lève, Blanche se retrouva seule. Son visiteur au terme d'une nuit d'amour comme jamais on n'en connut sur la rivière, était parti sans demander la main de celle qui lui avait donné les plus belles émotions de sa vie. Blanche était désespérée ; elle pensait ne jamais retrouver pareille jouissance.

La nuit suivante cependant, le même visiteur revint. La nuit fut encore plus tumultueuse que la veille. Le bateau était en transe, le chant d'amour éblouissait la rivière. Cette transe, non seulement ne choquait pas ceux qui l'entendaient mais au contraire les poussait, eux aussi, à aimer à la folie. Il y eut sur les quais de Saint Amour des scènes qu'il est préférable de taire ici.

Hélas, une fois encore, le mystérieux visiteur partit avec l'aube, laissant Blanche à son désarroi. Qui était donc ce merveilleux amant, ce tendre visiteur si attentif, si précautionneux, si inventif dans ses assauts, si enflammé dans ses abandons ? La dame voulait savoir la raison de sa fuite ; elle désirait le retrouver de jour.

Blanche se doutait qu'il avait quelque chose à cacher : un défaut, une malformation, un secret qu'il préférait taire plutôt que de risquer d'effrayer sa belle. La dame était résolue à passer outre : c'est lui qu'elle voulait pour mari ; il n'y avait aucune tare, aucun mystère qui aurait pu briser l'amour qu'elle avait pour lui.

Elle se résolut à lui tendre un piège pour qu'au lendemain, si l'oiseau s'était envolé une fois encore, elle pût l'identifier parmi tous les autres. Il ne pouvait se volatiliser, elle était certaine de le retrouver et de le prendre pour époux ; qu'importe la malformation qu'il voulait lui soustraire. Elle imagina un stratagème et l'attendit, impatiente des plaisirs qu'ils allaient célébrer.

Elle ne fut pas déçue. Le mystérieux visiteur revint et lui accorda encore plus qu'il n'avait donné jusqu'alors. Leur union, leur confusion, dura toute la nuit. Le sol tremblait, la rivière se soulevait, le vent murmurait au rythme de leurs soupirs. La ville tout entière fut prise d'une frénésie d'amour. Ce fut la nuit la plus coquine qu'on ne connût jamais de mémoire d'humain.

Au petit matin, le galant magnifique était, une fois encore, parti sans demander son reste. Le jour se levait et bien vite Blanche se mit à sa recherche. Elle avait badigeonné ses mains d'une poudre de lawsonia inermis, un pigment plus connu de nos jours sous le nom de henné. En voyant sur le quai un garçon au visage marqué de taches brunes, elle poussa un cri de surprise et cette fois, l'histoire tourna à la tragédie …
Son amant n'était autre que son jeune frère Carmin. Celui-ci, en voyant tous les regards converger vers lui, comprit que sa sœur qu'il chérissait tant avait déjoué son stratagème. Carmin s'empourpra, Blanche devint si livide qu'elle ressemblait à un spectre. Tous deux avaient bravé l'interdit, le tabou absolu. Leur union était non seulement impossible, mais elle offensait la morale.

C'était une époque où il y avait encore des mages capables par quelques sortilèges, d'apporter une réponse aux situations les plus inextricables. Merlin vint à eux, les prit à part pour leur expliquer le poids de leur faute. Si Blanche était consciente de ce qu'ils avaient commis, Carmin, en son jeune âge, eut bien du mal à admettre sa forfaiture.

Merlin, pour le salut de toute la communauté marinière mais aussi pour préserver l'équilibre des règles qui régissent l'union des hommes et des femmes, prévint Blanche et Carmin qu'il lui fallait les punir. Il ne pouvait en être autrement : la sentence serait terrible et irrémédiable. Elle devait servir de leçon pour tous les autres. Blanche et Carmin étaient condamnés.

Merlin, en grand mage qu'il était, fit des merveilles. Sa punition devait enseigner le peuple, porter en elle une bonne pédagogie, simple et lisible pour que le message à jamais reste dans les esprits. L'interdit de l'inceste entre frère et sœur était une règle incontournable. Il fit des incantations magiques, des prières étranges, il passa sur le corps des deux malheureux d'étranges poudres, de mystérieux onguents.

Puis Merlin sortit de sa tanière, porteur de deux cruchons. L'un contenait un breuvage clairet, léger et d'une tendre couleur de paille ; l'autre était d'un rouge vif, épais et vermillon. Merlin venait de créer le vin blanc et le vin rouge pour faire comprendre à tous que le mariage de la sœur et du frère était interdit à jamais.

Pour célébrer ce mystère, le 14 février à Saint Amour, les femmes buvaient du vin blanc jusqu'à en avoir la tête qui tourne. Les hommes, comme de coutume en ce temps-là, consommaient du vin rouge jusqu'à plus soif. Quand le vin était bu, la bacchanale de la Saint Amour pouvait débuter pour célébrer Blanche et Carmin.

Madame, si mon histoire vous semble improbable, offrez-moi donc une chopine de vin rouge : un bon Saint Amour par exemple. Buvez, quant à vous, une cruche de vin blanc, un Chardonnay de Mâcon à votre convenance. Quand nous aurons fini nos cruchons, nous en reparlerons !

Bacchanalement sienne.

Quelques évidences


Quelques évidences



Quand j'entre dans la danse
Pour quelques évidences
Je décroche la Lune
Et mon infortune
Le monde s'ouvre à moi
Et à tous nos émois
Elle devient ma bulle
Ma belle libellule 



C’est un évidence
Elle me met en transe
C’est une certitude
Ma béatitude


Elle sera ma princesse
Ma si tendre déesse
Une fleur épanouie
Au chœur de toutes mes nuits
Le rêve se réalise
Elle sera ma promise
Le destin qui bascule
En lettres majuscules


C’est un évidence
Elle me met en transe
C’est une certitude
Ma béatitude


Nous partageons sans cesse
De merveilleuses caresses
Nous nous embrassons sans fin
En nous tenant par la main
Je découvre des plaisirs
Qui éclairent son sourire
Une vague de frissons
Nous unit à l'unisson


C’est un évidence
Elle me met en transe
C’est une certitude
Ma béatitude


Elle me montre le chemin
Celui des plus beaux câlins
Elle se fait libertine
Et tendrement mutine
Elle abat les obstacles
Me guide au pinacle
Que toutes ses émotions
Nourrissent notre passion


lundi 23 octobre 2017

L'amour météo


Il pourrait bien neiger



Il s’appelle Simon, traîne sa solitude comme une gangue visqueuse ou poisseuse. Il est de ces gens dont la ville, dans son anonymat, a façonné l’existence autour d’un long rituel sans couleur : son travail, son logement, le cinéma parfois ou de rares voyages sans discussions avec quiconque. Il traverse la vie sans ami, sans rencontres, sans vie sociale. Il n'a pas l'air d'en souffrir, apparemment résigné  : il aime lire, se perd dans les aventures exaltantes de ses héros préférés, des personnages invincibles entourés de jolies femmes. Il est fou de chanson française et sillonne la région à la rencontre de talents qui n’ont pas le bonheur d’éclater au grand jour. Il fréquente les petites salles, souvent désertées par la foule bruyante des zéniths, il se sent alors en symbiose avec ces artistes qui, en dépit d’un formidable répertoire, ne trouvent pas un vaste public.

Simon n’a ni enfant ni chien : c’est là sans doute son premier handicap. Il a souvent remarqué que ceux qui arpentent la ville, tenant un compagnon à quatre pattes au bout d’une laisse, ont droit aux remarques des passants. On s’arrête quelques minutes à leur hauteur, on s'extasie devant le gentil minois du molosse, on évoque ses congénères qui sont passés dans l’existence des quidams ; on se retrouve régulièrement si l'interlocuteur est, lui aussi, chargé d’une promenade vespasienne.

Les enfants permettent parfois les mêmes rencontres pourvu qu’ils soient bien élevés, tranquilles et dociles durant les échanges des adultes. Ils limitent cependant le panel des possibles : l’amour des bambins est bien moins répandu que celui de nos amis les bêtes ; tendance déplorable dont se moque royalement notre brave Simon. Lui est un célibataire endurci qui a passé l’espoir de se prolonger au travers d’héritiers de son sang.

Cependant, au fil des années, la solitude est devenue plus pesante, l'homme finit par détester sa vie, murée dans un silence désespéré. Travailler dans un vaste espace commun et ouvert à tous les regards comme à toutes les oreilles, ne partager avec ses collègues que propos creux , convenus , phrases vides de sens, pauvres banalités , cela vous décourage définitivement d’établir des liens. Seuls les petits commerçants du quartier et du marché sont les voix qui répondent à ses demandes tout en agrémentant le propos d’une remarque sur le temps qu'il fait.

Simon, au début, s’exaspérait de ce sujet qui ne cesse de revenir en boucle. Petit à petit, cependant, il s’amusait à étoffer ses réponses de dictons de son invention qui enchantaient le boucher ou le boulanger : « À la Saint Glinglin, on va essuyer un grain ! »; « Cesse de te tracasser : quand vient la Saint Théodulfe, la nuit va enfin reculer ! ». Pour se donner l’air, Simon, se souvenant de son enfance, quand il écoutait Albert Simon à la radio, se documenta sérieusement pour devenir à son tour le prévisionniste de son quartier.

Le succès ne fut pas immédiat ; il fut long à s’imposer car le temps qui passe résiste quelque peu au temps qu'il fait. Mais, à force de prophéties réussies, d’annonces prémonitoires sur l’éventualité du pleuvoir, il se tailla une jolie réputation. On l’invitait dans le troquet du coin pour s’enquérir de l’état du ciel dans les jours à venir. Simon n’était plus seul : le ciel s’était éclairci pour lui !

Sa vie bascula tout à fait quand une voisine, charmante -se serait-il avancé à prétendre qu'elle était belle ? - l’interrogea à plusieurs reprises. Il fut séduit par sa voix, douce et mélodieuse, ses yeux pétillants de malice. Aimée était seule, elle aussi avait un emploi peu exaltant . Sa seule véritable distraction était de rendre visite à sa vieille mère une fois par mois et c'était à cette occasion qu'elle s'informait auprès de Simon des conditions de circulation.

Simon s’en voulait de la rassurer ainsi. Il savait qu’elle allait partir le vendredi pour ne revenir que tard le dimanche soir. Il traversait alors un long tunnel sans avoir le bonheur de l’apercevoir sur le marché dominical. C’est un vendredi du mois de mai qu’il se dévoila, discrètement, vous devez vous en douter. L’homme était timide et maladroit avec les femmes.

Aimée, vint à lui pour savoir le temps qu’il ferait en fin de soirée. Sa route était longue ; elle redoutait par-dessus tout la pluie. Il faisait grand beau : un de ces jours de printemps qui vous donnent des ailes et la gourmandise de la vie. Simon, sans bien réfléchir, à son habituelle interrogation répondit très sérieusement : « Il pourrait bien neiger ! »

Aimée lui sourit. Elle n’était pas dupe : il lui mentait sans se moquer d’elle. Elle comprit ce message surprenant et lui répliqua : « Ce serait donc imprudent de ma part de prendre la route. Je vais différer ma visite d’une semaine. Je suis libre, que faites-vous ce soir ? » Simon n’en revenait pas de son à-propos ; il faillit manquer de saisir cette incroyable main tendue avant que de répondre d’un soupir :« Je vous invite au restaurant ! »

Cette première soirée ne fut pas digne des romances à l’eau de rose. Il y avait de la maladresse chez ces deux-là, le manque de confiance et d’habitude aussi. Ils tardèrent à se découvrir, échangèrent tout juste deux ou trois regards brûlants. Ils allaient se séparer à la sortie du restaurant quand Simon se jeta à l’eau et osa inviter Aimée chez lui.

Nous n’avons pas à les suivre. Ce ne fut pas une soirée torride, ni même une nuit aux ébats cinématographiques. Ils s’apprivoisèrent simplement, se donnèrent l’envie d’aller plus loin dans cette découverte de l’amour. Il faut du temps quand la vie vous a habitué à rester sur le bord du chemin. Ils prirent le temps de faire cette longue route ensemble …

Le rituel s’installa. Quand Aimée souhaitait passer son weekend avec Simon, quelle que fût la saison, elle lui demandait le temps qu’il allait faire. Simon immanquablement répondait : «  Il pourrait bien neiger ! ». C’était le signal attendu : les bras qui s’ouvrent, les corps qui se découvrent et, au fil du temps, apprennent à se connaître et à éveiller plaisir et passion.

Ce jour-là, pourtant Simon désirait aller à un concert. Il savait qu' Aimée n’aimait guère ce groupe de chants de marine de Loire. Elle trouvait parfaitement ridicules ces vieux messieurs vêtus de larges chemises de coton. Leurs textes l’énervaient, la musique, plus encore, lui était insupportable. Elle n’aurait jamais accepté de l’accompagne ; alors, il répondit à sa sempiternelle question : « Aucun risque ce weekend, tu peux rouler sans crainte ! »

Aimée n’en fut pas contrariée. Un code avait été établi entre eux : chacun conservait son indépendance ; ils avaient passé l’âge de se lancer dans une vie commune. Elle respecta ce refus : manifestement son Simon avait prévu quelque chose qu’elle ne devait pas apprécier. Elle prit la route : nous étions en mars et soudain, le ciel se fit gris et plombé, la neige tomba à gros flocons et Aimée fut immobilisée en pleine campagne.

Elle fut hébergée dans un gymnase. Elle dormit tant bien que mal. Le lendemain, la situation avait empiré. Elle passa une seconde nuit dans ce lieu en compagnie d’autres naufragés de la route. Elle en voulut à Simon qui ne l’avait pas prévenue. Elle se dit que jamais plus elle ne lui poserait cette idiote question rituelle . Il fallait bien savoir se dire vraiment les choses plutôt que de tourner ainsi autour du pot.

Quand Aimée revint le mardi seulement, Simon était fou d’inquiétude. Il se jura, lui aussi, de cesser d’user d’un code stupide qui lui avait interdit de prévenir son amie du risque de précipitation ce soir-là. Pour se faire pardonner, il décida de lui faire une surprise, de lui offrir un voyage. Il savait qu’elle était, tout comme lui, en congé en août. Il réserva pour eux deux, un voyage sur l'île de la Réunion : un rêve qu’il n’avait jamais réalisé faute d’avoir trouvé un compagnon pour ce long périple.

Aimée fut enchantée. Il reprirent leurs habitudes, leur vie de célibataires qui se retrouvent une fois par mois pour une parenthèse bienfaitrice. Le temps arriva de ce voyage au long cours. Ils s’envolèrent comme deux vieux amis qui s’accordent un merveilleux cadeau. Ils dormaient dans des chambres séparées, s'étant joints à un voyage organisé qui laisse peu de place à l’intimité. Qu’importe, ils se contentaient de ce bonheur incomplet.

C’est un soir, au pied du Piton des Neiges, dans le petit village de Cilaos que Simon eut un curieux pressentiment. En août, dans ce lointain coin de France dans l’hémisphère sud, c’est l’hiver : un hiver doux où les fruits ne cessent de pousser, les gens de se baigner si les requins veulent bien les laisser faire. Pourtant, ce soir-là, un mauvais vent se leva, le ciel était chargé de lourdes menaces. Simon, qu’un autre touriste voyait soucieux, se leva et dit à la cantonade :  «  Il pourrait bien neiger ! » Dans le petit hôtel, beaucoup rirent de lui, Aimée sourit et lui répondit : « Si tel est le cas, je t’épouse ! »

Le lendemain, le Piton des Neiges était couvert d’un manteau blanc. Tous les Réunionnais s’extasiaient de ce spectacle rarissime. Aimée se lova contre Simon ; la neige qui avait failli les éloigner l’un de l’autre venait de décider de leur sort. Leur union allait être scellée : ils franchiraient ce pas qui les effrayait tant.

Le patron de l’hôtel, impressionné par la prophétie de Simon, émerveillé par la beauté de l’instant, leur promit de leur offrir la fête de mariage dans son établissement. Ce fut la suggestion qu’ils attendaient inconsciemment pour changer d’existence. Ils acceptèrent avec joie. Rentrés en métropole, ils décidèrent de rompre avec leur existence passée. Simon quitta son administration sans avenir, Aimée abandonna son métier sans intérêt et partit d'autant plus facilement que sa vieille mère n'était plus de ce monde

Trois mois plus tard, ils revenaient au pied du Piton des Neiges. Ils se faisaient «zoreilles » pour vivre leur amour dans un nouveau monde. Ils ouvrirent une petite boutique : « La Fée des neiges » , le royaume des chionosphérophiles, les collectionneurs de « boulàneiges » pour vivre le reste de leur vie sous le doux soleil de l’Île. Jamais plus il ne neigea, ni sur le piton ni dans leur union. Leur amour fut comme la météo, soumis aux aléas et aux variations de l’existence mais jamais, ô grand jamais, ils ne connurent de tempête dans leur couple.

Météorologiquement vôtre.


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