samedi 30 septembre 2017

La Loire en question.

La Loire en question.


Est-ce que cela coule de source qu'elle choisisse l'Atlantique quand la méditerranée est si proche ?
Est-elle indomptable pour qu'elle soit restée si longtemps sauvage ?
A-t-elle laissé tous ces bancs pour que les passants s'y reposent ?
Peut-on chevaucher la Loire à cru ?
L'embâcle a-t-elle toujours précédé la débâcle ?


Pourquoi la dame a-t-elle plusieurs lits ?
Peut-on parler de débordements ou de sortie de route ?
Fut-il simple d'endiguer ses folies ?
Fallait-il une levée de lit pour arrêter ses flots ?
Quand le lit mineur sera-t-il enfin majeur ?


La Loire fait-elle son lit quand elle se couche ?
Qui ne cesse-t-elle de charrier ainsi tout au long de son cours ?
La dame se laisse-t-elle facilement draguer ?
A-t-elle attendu d'avoir le bac pour se laisser franchir ?
Comment prend-elle son pied avec un gué ?


Peut-on faire alluvion à n'importe quelle histoire ?
Est-ce pour capter son courant qu'EDF y installa ses centrales nucléaires ?
Les marchands de sable ont-ils endormi les notables ?
Pourquoi les gravières ont-elles fait tant de trous dans l'eau ?
Le récit des marchands de sable est-il émouvant ?


Pourquoi ne barbote-on pas pour pêcher le barbeau ?
Y-a-t-il toujours eu de la friture sur la ligne ?
Faut-il tendre une perche pour pêcher le goujon ?
Que cherche vraiment à prendre un filet de barrage ?
Peut-on surprendre un brochet sur le vif ?


Peut-elle toujours compter sur son Allier ?
Quel est son affluent qui lui est le plus Cher ?
Fera-t-elle une petite valse avec la Vienne ?
Le Loir est-il son affluent le plus paresseux ?
Pourquoi l'Indre lui a-t-elle joué un tour de cochon ?


Aime-t-elle mener la vie de château ?
Comment le fleuve royal a-t-il supporté la révolution ?
Entre les tours de refroidissement et celles de nos châteaux, où va sa préférence ?
Les châteaux de Loire sont-ils un bon créneau pour les agence de voyage ?
La Loire peut-elle être prise de court ?


Les enfants de l'amont s'appellent-ils tous Marcel ?
Ceux de Laval se prénomment-ils tous Pierre ?
Le vent de Galerne fait-il grincer les vieilles badernes ?
Peut-on aller au Ponant en se levant de bonne heure ?
Peut-on haler à contre sens ?


Le courant passe-t-il entre la Loire et vous ?
La rive droite peut-elle perdre le nord ?
La Loire osera-t-elle montrer son cul à la grève ?
Le marinier est-il un bon époux ?
Peut-on jeter l'ancre à l'amer ?

Marinièrement sien



 

vendredi 29 septembre 2017

Coup de tempête


Coup de tempête


Le Girouet grince dans le vent
Indiquant d'où viennent les tourments
La tempête souffle depuis longtemps
Déchirant les souvenirs d'antan

Lorsque voguait le beau navire
La Loire était son empire
Pour le meilleur et jamais le pire
Un beau rêve, un doux délire

Il allait au fil du courant
Bienheureux et toujours souriant
Lorsque soudain surgit le gros temps
Nuages noirs venus du couchant

La barre se brisa en mille éclats
Il avait égaré son compas
Et les cloches sonnèrent le glas
D'une histoire qui s'arrête là

Le vent qui soufflait par le travers
Rendit la navigation amère
Ce gueux devait rester à terre
Où ce serait encor' la guerre

C'est ainsi qu'il fallut débarquer
Celui qui ne faisait que parler
Qu'il fasse des histoires à quai
S'écria-t-on à l'amirauté

Maintenant les bateaux vont sans lui
Le pauvre matelot qui s'ennuie
Il murmure jusqu'au bout de la nuit
La complainte du marin banni

Le Girouet grince dans le vent
Indiquant d'où viennent les tourments
La tempête souffle depuis longtemps
Déchirant les souvenirs d'antan


jeudi 28 septembre 2017

Trois jeunes filles


Trois jeunes filles



Trois jeunes filles sur la rivière
Regardaient passer les bateaux
Elles se prétendaient lavandières
Et rêvaient d'un monde nouveau

À grands coups de battoirs
Elles en avaient le dos usé
En maudissant cette Loire
Qui les avait clouées sur le quai

Un beau jour devant elles passa
Un magnifique bateau tout de bois
À son bord trois jeunes gars
D'un regard les mirent en émoi

Les demoiselles fort émoustillées
Lâchèrent le linge dans le courant
Les mariniers leur firent tant d'effet
Qu'elles les désiraient pour amants

Sur le chaland les bateliers comprirent
D'un seul regard énamouré
Qu'il y avait là des belles à séduire
Il leur fallait bien vite amarrer

C'est quand ils mirent pied à terre
Que le monde fut tout chamboulé
En tombant dans les bras des lavandières
Ils avaient scellé leurs destinées

Quand ils virent la feuille à l'envers
Les jeunes filles devinrent des dames
Les mariniers n'étaient pas des pervers
Ils leur déclarèrent leur flamme

Ils restèrent sur cette berge
Pour qu'elles deviennent leurs compagnes
L'un y ouvrit une auberge
Les autres se mirent en campagne

Bien vite ils firent de leur chaland
Notre tout premier bateau-lavoir
Les dames vécurent avec leurs galants
Leur merveilleux amour de Loire

Trois jeunes dames sur la rivière
Regardaient toujours passer les bateaux
Elles continuèrent d'être lavandières
En travaillant ainsi au bord de l'eau



mercredi 27 septembre 2017

La légende de l’île.



La maison hantée



Il est quelque part une île de Loire habitée par une poignée de familles. Pour rien au monde, celles-ci ne céderaient leur place aux gens d’en face, de l’autre côté d’un petit bras de rivière et qu’ils nomment « Ceux du continent ! » La vie en ce lieu tranquille est ponctuée des incidents qu’occasionnent parfois une traversée aventureuse mais ceci est le prix à payer pour un bonheur à nul autre pareil !

En cet endroit paradisiaque se dressait jadis un manoir abandonné. La vieille bâtisse avait subi les assauts du temps : elle était si délabrée qu’elle constituait un danger pour les enfants qui sont toujours à l’affût dune bêtise à commettre. Sachant qu’il n’est rien de moins efficace que d’interdire, les adultes imaginèrent une légende afin d’éloigner les garnements des murs en équilibre précaire.

Quand il s’agit d’effrayer un enfant, loups et fantômes sont souvent convoqués par des adultes en mal d’imagination. Ceux-là choisirent la sorcière : cette vieille recette qui a le mérite d’être universelle, quelles que soient les régions. Pour renforcer la crainte, ils n’hésitaient pas à se substituer à la pauvre femme, jouant les spectres en hurlant la nuit, quand les enfants passaient à proximité du manoir.

Pour justifier la présence de la pauvre femme, ils avaient créé de toute pièce une fable à dormir debout. Leur univers intime tournait autour du passage du bras et c’est naturellement là que se trama le drame qui installa la sorcière parmi les résidents de l'île. Nous allons de ce pas entrer dans la légende, pardonnez-moi si elle vous semble banale ; c’est ainsi pourtant qu’elle me fut rapportée.

Il y a bien longtemps, la fille des propriétaires d'un manoir magnifique sur le continent, s’était éprise d’un garçon vivant sur l’île. La belle et son amoureux n’avaient qu’une idée en tête : consommer leur union au plus vite, célébrer charnellement leur amour avant que de sceller ce pacte devant monsieur le curé. C’était une époque où les mœurs n’étaient pas aussi libres qu’aujourd’hui et où la communauté veillait au grain afin d’éviter la faute.

Pourtant, un jour, les deux tourtereaux parvinrent à échapper à la surveillance de tous. Ils avaient profité d’une fête votive sur le continent pour prendre la poudre d’escampette, emprunter une barque et aller découvrir les joies de la fusion de deux corps qui s’aiment et qui vibrent dans le manoir vide de l'île. Ce qui se passa dans les murs de la belle demeure, nul n’en saura rien. Il se murmure que de longues plaintes montèrent dans la vallée sans que personne ne comprît de quoi il en retournait.

Ayant à plusieurs reprises découvert les mystères des frissons et de la pâmoison, le jeune couple, uni devant Cupidon en personne, voulut regagner le monde de gens ordinaires. Hélas, durant les ébats tumultueux des toutereaux, la Loire avait forci, le courant et le vent s’opposaient, rendant délicate la traversée du retour . Le jeune homme, tout étourdi encore par les assauts frénétiques qu’il avait fait subir à sa belle, avait les jambes flageolantes et le souffle court.

Il commit une maladresse qui lui fut fatale. Une glissade le fit basculer dans les flots et, sous le regard horrifié de la belle, le tendre cavalier disparut dans la Loire en colère. La pauvrette avait connu des noces bien trop courtes ; le temps du deuil était désormais son unique perspective. Elle hurla de douleur et en perdit la tête dans l’instant. Nul jamais ne la revit …

Depuis ce jour sinistre, la maison fut hantée. Des cris déchirants accompagnaient ceux qui voulaient s’en approcher. C’est du moins ce que racontaient les adultes aux enfants de l’île, jusqu’au jour où les gamins, qui depuis longtemps, n’étaient plus dupes de la supercherie, prirent l’initiative de servir aux plus grands la comédie qu’on leur offrait depuis si longtemps.

Les chenapans sont dans la farce bien supérieurs à leurs géniteurs. Ils usèrent de bien plus de stratagèmes que les pauvres cris que leur dispensaient sans conviction des adultes en mal d’imagination. Ils prirent flambeaux et vieux draps, oripeaux et cornes de brume. Ils firent tant et si bien que ceux qui avaient maintes fois répété la légende se mirent à trembler d’effroi et prirent pour argent comptant ce que, jusqu’alors, ils répétaient sans conviction.

C’est ainsi que les adultes furent convaincus de la véracité de leur fable et que les enfants les laissèrent croire à cette sornette. Depuis, les enfants de l’île disposèrent d’un formidable terrain de jeu sans que jamais un adulte ne se risquât à venir les déranger. Voilà ce qu'il advient quand on instrumentalise les peurs et les angoisses. Que cela serve de leçon à tous ceux qui seraient tentés d’user de la chose pour nous faire avaler des couleuvres ! …

Arrosement leur.

mardi 26 septembre 2017

Mon pays d'en France



Mon pays d'en France


C'est mon pays d'en France
Petit coin de bonheur
Berceau de mon enfance
À jamais dans mon cœur
C'est au creux de son château
Monument de l’histoire
Que se reflète en ses eaux
Notre divine Loire

De ses tours majestueuses
On découvre le Val
Lumières somptueuses
Pour écrin médiéval
Ce gardien précieux
Pour Sologne voisine
Et Berry mystérieux
Au delà des collines

Un très grand du Royaume
A illustré son nom
Après qu'un enfant des chaumes
Lui octroya son renom
Notre Duc Maximilien
Aménagea les levées
Maurice le bon chrétien
En sera la fierté

Dans le creux de ses douves
Se lovent les amants
Et entre chien et louve
Admirent ce diamant
Forteresse éternelle
Conservera leurs secrets
Caché dans ses tunnels
Tel un trésor discret

Ciel aux mille couleurs
L'inonde de ces nuances
Qu’un soleil enchanteur
Lui a données en créance
Alors ses pierres blanches
Se font ainsi le reflet
C'est une douce revanche
En un somptueux ballet

Ici est un château
Le joyau de Sully
Au milieu de l'eau
Perle de mon beau pays
Dans mon village d'en France
Un petit coin de bonheur
Berceau de mon enfance
À jamais dans mon cœur

Tableau de Guyle Rayne

 

lundi 25 septembre 2017

Rue de la chèvre qui danse …



Une histoire à danser debout.



Il était une fois, à deux pas de l'église de Recouvrance, une rue au nom si joli que j'espère que personne n'aura jamais l'idée saugrenue de la débaptiser au profit du patronyme d'un orgueilleux ou d'un important. Nul ne sait pourquoi elle porte ce nom qui pousse à la rêverie et chacun se prend de l'envie d'inventer une fable pour expliquer son histoire.

La rue de la chèvre qui danse viendrait, si l'on en croit les gens savants et un peu trop sérieux, d'une enseigne d'autrefois, choisie par un habitant pour se démarquer de ses voisins. L'invention et l'originalité étaient alors les meilleures manières de se distinguer en une époque où les adresses demeuraient incertaines.

D'autres aiment à penser que, dans ce quartier marinier, il ait pu y avoir un cabaret pour que guinchent les hommes, partis loin de chez eux, avec des dames qui n'étaient pas toutes farouches. Comme à deux pas de là, il y avait une maison à la lanterne rouge des dames de Bon Secours, nous pouvons imager bien des choses … Pourtant, la dame qui vend ses charmes n'est pas habituellement affublée de la métaphore caprine. L'explication tourne à la queue de poisson.

N'ayant pas d'histoire officielle, je ne vois aucune raison de ne pas en inventer une, à ma manière. Il se peut qu'elle soit un peu tirée par la barbichette ; c'est là le risque avec notre belle anglo-nubienne, d'autant qu'à deux coups de cornes, se trouve la rue des Anglaises … Ne voulant pas en faire tout un fromage, je me lance sans plus attendre dans une aventure pour laquelle, jusque-là, je n'ai absolument aucune idée précise ….

Il était une fois une chèvre qui broutait sur les terrains au-delà des remparts. La demoiselle avait l'humeur chagrine et aimait à donner de la corne à qui venait l'importuner quand elle broutait. Personne pourtant ne lui faisait grief de ce petit défaut car la belle avait une autre qualité qui avait fait d'elle, la mascotte du port de Recouvrance.

C'était une époque durant laquelle arrivaient en ce port bien des bateaux de transport qu'on nommait alors des chalands. Parmi les marchandises qui transitaient à Orléans avant de partir à Paris, il y avait le précieux blé. La ville avait été, dès l'époque gauloise, une plaque tournante de ce commerce et, c'est parce que des négociants romains avaient été trucidés par des rebelles, que Jules, en personne, était venu brûler la ville en 56 avant JC.

De tout cela, notre chèvre ne savait rien. On ne peut le lui reprocher : elle avait fort à faire à brouter chaque jour ses dix kilos d'herbes quand la saison était favorable. Ensuite, il lui fallait ruminer et user de ses quatre estomacs. Il y avait de quoi passer honorablement ses journées. Pourtant, elle ne supportait guère la monotonie de sa vie de chèvre …

Elle n'était pas comme la Blanquette de la fable : elle ne s'imaginait pas qu'ailleurs l'herbe est plus verte. Là n'était pas sa fantaisie de demoiselle. Ce qui la rendait chèvre plus encore qu'elle ne l'était déjà, c'était l'arrivée sur le quai de chalands. Si ces derniers étaient chargés de blé, la belle gambadait sur le pierré pour recevoir de ses amis mariniers quelques poignées de céréales : une gourmandise pour elle. Elle béguetait alors d'une voix chevrotante, si particulière, qu'il y avait toujours une main compatissante pour la satisfaire.

C'est à l'époque des pommes qu'elle acquit la réputation qui la fit entrer dans l'Histoire. Les premières arrivaient de Montjean, puis passaient par notre val de Loire pour s'en aller par le canal jusqu'à la capitale. Notre chèvre était folle de ce fruit ; elle ne pouvait résister à l'appel d'une gourmandise qui lui faisait perdre la tête.

Comment faisait-elle pour reconnaître le chargement ou bien les chalands spécialisés dans ce fret ? On se perd en conjectures et là n'est pas l'essentiel. C'est ce qu'elle faisait alors qu'il faut vous raconter et qui justifie la gloire posthume qui est sienne. Les chalands vous dis-je, ne s'arrêtaient pas quai de Recouvrance, c'est jusqu'à Combleux qu'ils allaient afin d'emprunter le canal d'Orléans.

La chèvre le savait et prenait son élan en une course folle pour, d'un bond magnifique, passer du quai au pont. Les mariniers n'ignoraient rien de la folie de l'animal et prenaient un malin plaisir à passer le plus près possible du bord afin qu'elle arrive à ses fins. C'était ainsi : chacun en aval d'Orléans connaissait la demoiselle et son étrange fantaisie.

Elles mangeait quelques pommes, se rassasiait bien vite car elle avait la prescience du risque d'acidose qui menaçait. Ce n'est pas en agissant de la sorte qu'elle entra dans la légende et rien ne serait arrivé sans un comportement douteux des bateliers. Le bruit avait circulé que la chèvre aimait à se piquer le nez. Il y avait toujours un lascar pour lui offrir un seau d'eau largement mouillé de vin.

Au passage de l'écluse à Combleux, les mariniers remettaient notre chèvre sur le chemin de halage. Le vin avait alors fait son effet et la belle rentrait jusqu'à chez elle en allant de manière inconsidérée, à hue et à dia. Elle tanguait, elle hésitait, comme une fermière qui s'en revient du marché.

Le spectacle était connu de tous. Chacun l'avait repérée sur le chaland de pommes et la nouvelle circulait pour prévenir les curieux du retour prochain de la chèvre qui danse. C'était, avouons-le, divertissement bien innocent. Et comme il y a un bon dieu pour les ivrognes, qu'ils soient humains ou bien caprins, jamais la petite chèvre ne tomba dans la Loire durant ces longs et si chaloupés retours chez elle.

Elle vécut jusqu'à l'âge canonique, pour ceux de sa race, de 33 ans ; preuve s'il était encore besoin de la fournir, que le vin de Loire est excellent pour la santé. Sur ses vieux jours, les mariniers compatissants, tendaient une passerelle pour la prendre à bord. Il se dit aussi qu'ils mettaient de moins en moins de vin dans son eau ; chacun craignant d'accélérer son trépas.

Il n'empêche ; elle rentrait toujours aussi pompette : l'effet placebo sans doute. Quand elle quitta cette vallée de larmes, elle fut regrettée et bien vite, la rue où vivait sa propriétaire, fut baptisée en souvenir de la chèvre qui danse. Voilà l'histoire véridique de cette rue d'Orléans ; à ceux qui s'aventureraient à ne pas croire mon histoire, je n'aurais qu' à répondre seulement : « in vino veritas ! »

Caprinement sien

Le vin d’ici


à la vôtre !


J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
Grâce à lui j’ai beaucoup amis
Quand débouche un Saint Nicolas

Je danse sur des verres à pieds
Enlace tendrement le goulot
Déguste à grandes gorgées
Un délicieux vin au bistrot
Je me délecte d’un godet
Tiré d’une grosse barrique
C’est un gouleyant muscadet
Servi avec des berniques

J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
Je n’ai jamais plus de soucis
Le vin accompagne mon repas

Je m’offre une ou deux chopines
Un sauvignon bien de chez nous
Pour attirer cette coquine
À qui je faisais les yeux doux
La verdeur de ce breuvage
Lui permettant vite d’oublier
Que ce n’est plus à mon âge
Qu’on peut remettre la tournée

J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
C’est ainsi que toute la nuit
je ronflerai dans de beaux draps

Je me dégrise à la bonne heure
Le soleil pointe à l’horizon
Je dois me remettre en labeur
Bien loin de ce tendre jupon
J’en ai l’air hélas à quoi bon
Se faire du mal en affirmant
Je ne suis qu’un vulgaire pochtron
Un gougnafier, un sacripant

J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
Et toute ma chienne de vie
Je resterai un vieux gars

J’aime à gouter le vin d’ici
Que je préfère à l’eau de là
C’est hélas à cause de lui
Que j’ai le foie dans cet état 


Musique Casimir
Paroles C'est Nabum 

Photographies

Patrick Loiseau 

 

avec 
Vincent le Sonneur 

 

samedi 23 septembre 2017

Tu te laisses couler


Tu te laisses couler



Tu te laisses couler
Tu finis par sombrer
Oubliant les virées
Effaçant le passé

Depuis le temps que nous étions ensemble
Des années à partager tous nos rêves
De si grands voyages qui nous rassemblent
De belles bordées sans repos ni trêve
Puis un matin, tu as jeté l'éponge
As repoussé de nouvelles histoires
C'était bien étrange refus j'y songe
Nous aurions dû nous en apercevoir

Tu te laisses couler
Tu finis par sombrer
Oubliant les virées
Effaçant le passé

Soudainement tu as viré de bord
Rêvant de filer sur ta propre route
Tu t'es égaré, t'as perdu le nord
Tu vas tant nous manquer sans aucun doute
Tu n'as même pas déclenché l'alarme
Pas le plus petit signe de détresse
Tu t'es résigné à ce prochain drame
Sans même nous lancer un SOS

Tu te laisses couler
Tu finis par sombrer
Oubliant les virées
Effaçant le passé

Des lézardes sont apparues en toi
C'est alors que tu partis en quenouille
Lorsque tu ne fus plus fait de ce bois
Qui évitait que nos pieds ne se mouillent
Tu as coulé sans un dernier regard
Tu as disparu par un triste soir
Nous laissant soudain hébétés hagards
Perdus au beau milieu de notre Loire

Tu te laisses couler
Tu finis par sombrer
Mon pauvre vieux bateau
Hélas au fond de l'eau !



vendredi 22 septembre 2017

Ceux d'la rivière...


Ceux d'la rivière...


Nous sommes les crève-la-faim
Gagne-petit, pauvres misères
Tout juste des bons à rien
Trimant au bord de la rivière
Que les marchands au ventre gras
Exploitent jusque z'à la trogne
Se nourrissant sur nos gros bras
Et sans pitié et sans vergogne

Nous sommes les cht'iots calfats
Les besogneux dessus le quai
Passant le goudron et la poix
Plus méprisés que vos laquais
Un travail juste pour les chiens
Que l'on paie d'un os à ronger
De quelques miettes de pain
Avant de nous donner congé

Nous sommes aussi les portefaix
Les costauds au pied des bateaux
Pour soulever tous vos effets
Et les porter sur les chariots
De nos vieilles mains calleuses
Nous soulevons ces lourdes charges
Que vos moqueries si honteuses
Alourdissent encore davantage.

Nous sommes encore les gobeux
Les haleurs du bout de nos ponts
Tirant aussi fort que des bœufs
Les trains de bateaux vers l'amont
La bricole nous scie les reins
Nous luttons contre le courant
Pour empocher just' trois fois rien
À la santé des commerçants

Nous sommes les tireux de sable
Et nous puisons dans la rivière
Les précieux grains si friables
Qui bâtissent votre chaumière
Tous les jours au milieu des flots
La queue de singe dans les mains
Nous remplissons notre bateau
En un labeur fort peu humain

Nous sommes les crève-la-faim
Gagne-petit, pauvres misères
Tout juste des bons à rien
Trimant au bord de la rivière
Que les marchands au ventre gras
Exploitent jusque z'à la trogne
Se nourrissant sur nos gros bras
Et sans pitié et sans vergogne


Chanson de Bâbord-Tribord
Festival de Loire 2017

Musique Dan Grall
Paroles C'est Nabum 

Peintures de Messemin 

jeudi 21 septembre 2017

Le saule et l’enfant.



Bon sang ne saurait mentir …



Il était une fois au bord de l’Indre un magnifique saule qui faisait l’admiration de tous. L’arbre vénérable en imposait, tant par sa hauteur que par sa majesté. Ses branches venaient caresser la rivière qui coulait à ses pieds. Il était, pour tous les gens du pays, symbole de bonheur. Les amoureux venaient s’embrasser à son pied, trouvant ainsi refuge et douce protection. Les plus vieux pensaient qu’en caressant son tronc, ils récupéreraient un peu de son énergie pour conserver encore vitalité et santé.

Le saule était connu de tous. C’est sans doute ce qui expliqua son histoire, justifia les péripéties que je vais vous narrer. Il convient de croire aux forces de la nature et aux êtres surnaturels pour venir prolonger votre lecture. Que les esprits cartésiens, les parlementaires véreux et les économistes cupides passent leur chemin ! Ici, seuls les rêveurs et les honnêtes gens prendront plaisir, je l’espère, à la lecture de cette histoire.

Une vieille femme, plus courbée que les autres, plus âgée que tous passait, chaque jour que Dieu fit, pour venir poser sa main calleuse sur le tronc de l’arbre. Elle lui tenait conversation, lui racontait sa vie d’ancêtre, un peu guérisseuse, un peu sorcière. Elle puisait dans la force du saule l’énergie qu’elle transmettait aux autres en arrêtant le feu, en usant de son magnétisme pour brûler les verrues et soulager les maux.

Quand elle était en discussion avec le saule, les gens du pays se retiraient, par pudeur ou par crainte. Ils pensaient qu’il y avait là magie ou bien diablerie. Ils ne voulaient surtout pas interrompre le charme dont tous, un jour ou l’autre, avaient bénéficié. Les plus curieux observaient à distance la scène, se signaient parfois en voyant- ils l’ont tous certifié- les branches de l’arbre trembler durant ce dialogue mystérieux.

Quand l’histoire changea soudain de nature, la vieille femme venait d’héberger une jeune fille, une orpheline sans ressource ni famille. La demoiselle était aussi démunie qu’elle était douce et tendre. Elle eut bien quelques soupirants mais puisqu’elle vivait chez la sorcière, ceux-ci s’étaient vite retirés. Les hommes manquent parfois de courage.

La vieille confia à l’arbre combien elle s’inquiétait de ne pas trouver de soupirant à sa belle Ondine. Le Saule tremblait de toutes ses branches à chaque fois que sa confidente évoquait la jeune fille. On devinait qu’il désirait ardemment connaître cette beauté. La vieille sentait, elle aussi, des vibrations étranges : elle devinait que le génie de l’arbre avait grand désir de mêler sa destinée à celle de l’orpheline.

Ce fut par une nuit de Sabbat que l’ancêtre se décida à user de ses pouvoirs, à rendre peu ou prou tout ce magnétisme que l’arbre lui avait donné. Elle vint caresser son tronc en psalmodiant de curieuses mélopées, en proférant de diaboliques prières. Le saule vibrait, le saule chantait, le saule entra en transe. C’est alors qu’un beau, qu’un merveilleux jeune homme sortit d’un trou qui s’était creusé au fil du temps dans le tronc.

Le jeune homme- était-ce le génie du saule ?-la vieille l’appela Saul et le convia à la suivre. Elle présenta Saul à Ondine ; est-il nécessaire d’user de mots pour traduire ce qui se passa immédiatement entre ces deux êtres ? Le visage de la jeune fille irradiait de bonheur, celui du garçon n’était que béatitude et sourire. Ils s’aimèrent dans l’instant où ils se virent et unirent leurs corps cette nuit même.

Bientôt le bruit circula dans la région que la vieille hébergeait désormais un jeune couple qui attendait un enfant. L’enfant en question naquit et fut le plus aimé, le plus choyé de tous. Il grandit, entouré de l’affection de ses parents, de la protection de celle qui était pour lui sa vieille, très vieille grand-mère et d’un arbre, un curieux arbre à qui il rendait visite chaque jour.

La vie eût pu ainsi se poursuivre, heureuse et tranquille si le premier seigneur du pays, en 1004, un chef Viking, connu sous le redoutable sobriquet de « Diable de Saumur » n'était venu dans la contrée pour construire une forteresse en bois, là où les Celtes, jadis, avaient élevé un tumulus sur la colline devant la rivière. Guelduin Ier de Saumur, seigneur d’Ussé et de Pontlevoy, portait fièrement les couleurs du comte de Blois et s’installa à deux pas de l’arbre vénérable.

Guelduin, non seulement, se construisit une belle et grande forteresse en bois,mais son sang de Viking exigeait qu'on lui fabrique, sur le champ, un drakkar. Son choix se porta, en dépit de ses rites et de sa puissance, sur le fameux saule que tous respectaient bien plus que lui. L'idée peut paraître saugrenue: le saule n'est pas réputé pour servir de charpente marine, mais ce que seigneur veut, il peut l'obtenir en élevant la voix.

Des bûcherons arrivèrent donc devant l'arbre vénérable. La rumeur se répandit dans la contrée que le terrible seigneur voulait abattre le protecteur des humbles gens. La vieille fut la première à venir mettre son corps en travers des haches ; elle fut brutalement repoussée et ce, en dépit des malédictions qu'elle envoya sur la tête des ces pauvres ouvriers qui ne faisaient qu'obéir aux ordres de Guelduin. Elle comprit qu'il fallait appeler Saul, qu'il était le seul à pouvoir entraver le noir dessein du diable de Saumur.

Saul se précipita, il redevint le génie de l'arbre, abandonnant son allure d'humain pour se glisser à nouveau dans son arbre au travers de sa putrissure. Il lutta de toutes ses forces contre les bûcherons. Les premiers coups de cognées provoquaient des blessures que l'arbre, immédiatement, refermait par la magie de son génie. Mais le nombre des assaillants était trop grand, l'arbre finit par céder sous les haches, les scies et les outils de ces pauvres gueux qui comprenaient tout le mal qu'ils faisaient là.

Le magnifique arbre s'effondra tandis que les vilains d'alentour se lamentaient en de longues plaintes. Au loin, dans la cabane de la vieille, Ondine était en larmes et usait de toutes ses forces pour retenir l'enfant qui voulait se précipiter à la défense de son père. Il finit par échapper à la vigilance de sa mère et arriva quand l'arbre, abattu, gisait sur le sol.

L'enfant de l'orpheline et du bon génie vit alors quelque chose de surprenant. L'arbre vaincu, l'arbre couché sur le flanc résistait encore. Les hommes avaient beau bander toutes les forces, il était impossible à soulever. On alla quérir des chevaux de trait mais, une fois encore, il résistait, se faisait lourd et imbougeable.

Soudain l'enfant se précipita vers son géniteur. Sa mère le suivit dans sa démarche et tous deux enfourchèrent le tronc qui se fit alors léger, léger au point de s'envoler pour se retrouver sur l'Indre et filer vers la Loire toute proche. Leur voyage s'arrêta vite : ils furent pris en charge du côté de ce qui allait devenir Montsoreau quelques années plus tard en 1089, à l'embouchure de Loire et Vienne.

Là étaient des charpentiers fluviaux qui entreprirent de construire un bateau de ce tronc superbe qui était venu jusqu'à eux et qu'enfourchaient Ondine et son enfant. Pour quelle raison agirent-ils ainsi ? Nul ne le saura jamais ! Avaient-ils eu vent de leur histoire ou furent-ils frappés par cet énigmatique équipage ? C'est possible. Toujours est-il, qu'en quelques jours, ils leur offrirent un bateau avec lequel l'enfant et sa mère partirent bien vite sur la rivière après les avoir remerciés chaleureusement.

Il se murmure que les soirs de brume, les jours de brouillard, vogue sur la Loire un bateau en bois de saule. Quand personne n'est là pour voir l'équipage, le génie de l'arbre ressurgit de quelques nœuds, d'une membrure et serre la belle Ondine dans ses bras. C'est alors leur enfant qui prend la barre et sourit aux amours éternelles de ses parents. Des cygnes ou bien des oies sauvages survolent alors la mystérieuse embarcation tandis que toutes les vouivres de la rivière murmurent un merveilleux chant d'amour.

Éternellement leur.


mercredi 20 septembre 2017

Les trois copains



Le banc des souvenirs.


Il était une fois trois copains, trois amis, nés la même année, dans un petit village des bords de Loire. Philippe, Christian et Marc avaient grandi ensemble, inséparables. Ils avaient vite pris l'habitude de se retrouver sur un banc installé sur les quais. Ils admiraient le fleuve et passaient de long moments à converser de tout et souvent de rien, heureux d'être là.

Leurs premières conversations sérieuses, leurs premières rencontres sans la présence d'adultes eurent lieu alors qu'ils étaient à l'école communale. Philippe évoquait ses rêves, son désir d'aventure, de voyages lointains, de grands espaces. Christian parlait de sa passion pour la pêche, la nature, les animaux qui l'entouraient. Marc, lui, se montrait plus discret : il suivait ses amis sans se donner le droit de s'accorder de grandes ambitions.

Les années passèrent, le banc de bois vert fut remplacé par un banc en métal. Ils fumèrent leurs premières cigarettes lorsqu'ils se retrouvaient durant leurs années au collège. Philippe évoquait ses études, ses envies de réussite, son futur métier. Christian cherchait des formations pour exploiter son goût de la nature et vivre au pays. Marc s'interrogeait ; il n'était pas très doué pour les cours, il désirait simplement exploiter les trésors qu'il avait dans les mains.

Ils avaient petites copines ou bien épouses quand leurs parcours les séparèrent. Ce n'était plus que durant les vacances qu'ils se retrouvaient sur le banc, face à la rivière. Philippe prenait toujours la parole en premier ; il en mettait plein la vue à ses deux amis avec des études brillantes, des diplôme pompeux et des propos savants. Christian était devenu un garde des eaux et forêts ; il rayonnait dans son royaume, il parlait de protection des espèces en un temps où bien peu s'en souciaient encore. Marc vivait heureux de sa petite entreprise artisanale : il travaillait le bois avec passion et adresse.

C'étaient des pères de famille qui, de temps à autre, se retrouvaient là à deviser gaiement. La Loire coulait : beaucoup d'eau avait passé sous les ponts de leurs existences. Philippe déchantait un peu. Après une belle période de prospérité, les crises successives l'avaient contraint à en rabattre. Christian était devenu un militant actif de la cause animale. Il avait aussi découvert la marine de Loire et s'était lancé dans des recherches pour construire un chaland. Marc, tout heureux, lui avait proposé son aide et surtout son expertise menuisière.

Ils furent retraités ensemble. Ils aimaient à naviguer tous les trois sur la rivière. Marc avait pris les commandes ; le bateau, il l'avait construit, il voulait le piloter. Il était fier, capitaine sur cette Loire qu'il n'avait jamais quittée. Christian était sur le pont, des jumelles fixées à ses yeux. Tout pour lui était admiration et émoi. Philippe, taciturne, trouvait parfois le temps un peu long. L'inactivité lui pesait.

C'est ainsi que les jours passèrent. Toujours assis sur un nouveau banc, en béton celui-ci, ils admiraient la petite flotte qui était venue rejoindre leur désormais vieille embarcation. Marc était toujours gaillard ; il n'était jamais en reste pour venir donner un coup de main aux petits jeunes qui voulaient construire, eux aussi, un fûtreau. Christian encadrait des sorties « nature ». Il emmenait petits et grands à la poursuite du castor ou bien du balbuzard. Philippe se cherchait un peu, perdait ses mots, oubliait parfois de venir au rendez-vous de ses vieux amis.

C'est Marc qui comprit le premier ce qui arrivait à leur vieux camarade. Christian, avec ses jumelles vissées sur la poitrine, n'avait rien vu venir. Philippe, le plus brillant, le plus ambitieux, se perdait à lui-même. Il était atteint de ce mal terrible qui porte un nom étrange. La mémoire lui filait entre les doigts ; le présent s'effaçait avant d'avoir le temps de s'être imprimé.

Les trois copains se retrouvent désormais tous les jours. Marc et Christian, à tour de rôle, vont chercher Philippe. Ils se retrouvent sur le banc et, pour que leur bon camarade soit heureux l'espace d'une petite heure, ils se remettent dans les pas de leur enfance. Ils évoquent les camarades d'école, les parties de bille, les pêches à la barbotte. Ils chantent des chansons de ce temps révolu et Philippe retrouve le sourire et un peu de mémoire.

C'est si bon de garder des amis quand la redoutable maladie frappe l'esprit. C'est en plongeant dans le passé qu'on peut redonner vie à celui qui s'est perdu à lui-même. Philippe a eu cette chance : il s'assoit sur le banc et le vieux monsieur qu'il est redevient immédiatement un gamin en culotte courte qui court le long de la rivière avec deux autres chenapans. Il est heureux et il n'y a que ça qui compte. La Loire n'a pas changé et elle donne le change avec le sourire, elle aussi.

Mémoriellement sien.


mardi 19 septembre 2017

Les trois jaux



La sente de la révolte.



Quelque part au bord de l’Allier, il est une petite sente qui plonge vers la rivière. Quand on se trouve à son sommet, on y découvre un paysage d'une incomparable beauté . En cet endroit trois provinces françaises se rejoignent : le Berry, la Bourgogne, le Bourbonnais. On y ressent le souffle de l’histoire et le poids des légendes. Au loin les chats-huants ululent à vous glacer le sang, on devine qu’ici quelques drames se sont noués au fil du temps.

Curieusement, c’est la même histoire qui se répéta en trois époques bien différentes. Une histoire éternelle qui fait des gens de cette terre des rebelles accrochés à leurs coutumes, amoureux fous de leur beau pays. C’est ici que vous pouvez rencontrer les gens de la Chavannée : cette belle association qui préserve l’héritage culturel avec une énergie digne d’éloges. Ce sont eux qui m’ont soufflé le récit qui suit.

En ces temps lointains, les Celtes découvrent avec horreur qu’ils doivent plier sous le joug de l’envahisseur romain. La rivière demeure encore un dernier espace de liberté. Sa navigation y est trop complexe pour les Latins ; ils préfèrent rester sur la terre ferme, refusant de s’aventurer sur cette rivière erratique et farouche.

Ce soir-là, un bateau accoste au pied de la petite falaise. Un femme vient à la rencontre des nautiers ; une belle et fière femme qui semble ne rien redouter. Elle vient chercher quelques provisions que lui apportent ses amis mariniers. Ils ont remonté le courant, venant de la lointaine Ceno, chargés de sculptures en bronze. La femme veut décorer son intérieur ; elle aime les belles choses et a choisi un magnifique sanglier stylisé.

La transaction se fait rapidement ; les hommes veulent continuer leur route sans prendre le risque de tomber sur une escouade romaine. La femme remonte alors la sente pentue et escarpée. La nuit s’approche ; la pénombre pourrait l’inquiéter mais elle est sereine, forte de ses certitudes. C’est quand elle débouche sur le plateau, juste devant la grande ferme qui domine le plateau qu’un soldat romain surgit de derrière un taillis pour obtenir d’elle ce qui ne devrait jamais se prendre de force.

La belle n’a pas peur. Elle lance un sifflet strident qui intrigue l’agresseur. Il s’arrête, interdit, quelques instants. La femme le toise, se rit de lui. Pauvre homme sans courage qui ose s’en prendre à une femme au détour d’un chemin creux. Le Romain la regarde, intrigué ; aucune peur ne transparaît dans ce visage si beau qu’il ne peut qu’en être admiratif. Ces quelques secondes d’hésitation lui seront fatales. À l’appel de sa maîtresse, un chien a surgi et saute au cou du méchant.


L’homme est surpris, déséquilibré. Il tombe, roule le long de la sente et finit par disparaître dans les flots en contrebas. Au loin, un coq berrichon chante, longuement. En cette heure inhabituelle, il semble célébrer la victoire de la femme rebelle, celle qui n’a pas craint d'affronter du regard le pleutre aux intentions ignobles. Elle poursuit sa route, sans un regard vers la rivière dans laquelle a sombré son agresseur.

Des siècles ont passé et pourtant nous allons revivre une scène similaire en ce lieu qui n’a pas changé. Une femme, la même sans doute, toujours aussi gracieuse, vient à la rencontre des pêcheurs qui sont à l’ouvrage sur l’Allier. Elle leur apporte de quoi passer la nuit sur l’eau. C’est la saison des anguilles, il faut veiller pour espérer prendre belle pêche.

Les hommes la remercient ; ils s’en vont à leur activité. Elle les suit des yeux et remonte lentement la sente, chargé d’un panier de poissons qu’ils lui ont donné. À son passage, une chouette s’envole. C’est au débouché du plateau qu’un cavalier surgit. Il est seigneur du domaine de retour de la chasse. Il s’arrête plein de morgue, se moque de la femme et de son odeur de poisson.

La femme rétorque fièrement que le gibier est interdit aux manants. L’homme s’indigne de cette réplique irrespectueuse. Il va lever son épée quand surgit d’un bosquet, un chien, le même, une fois encore, qui saute sur le méchant diable et le jette à terre. L’homme, alourdi par son harnachement, roule et sombre dans la noirceur des eaux. Au loin, venant de la province de Bourgogne, un coq chante mystérieusement.

Cette fois, nous sommes sous l’occupation allemande. Une femme, identique aux deux précédentes, descend à la nuit la sente pentue. Elle cherche à se dissimuler. Elle vient à la rencontre d’hommes qui descendent en barque l’Allier. Ils lui confient des armes, ce sont des résistants. La femme en échange, leur donne des messages et des victuailles.

Elle remonte prudemment la sente ; elle est chargée. Elle redoute de faire mauvaise rencontre avant que d’avoir le temps de dissimuler les armes. Au-dessus d’elle une hulotte passe, elle frissonne. Soudain, alors qu’elle arrive sur le plateau, un soldat allemand surgit, il est seul. La femme ne se démonte pas. Elle siffle et son chien qui était resté à la ferme arrive si vite qu’il surprend le soldat. D’un geste rapide et sûr, la femme prend un couteau et tranche la gorge du garçon. Elle le fait rouler jusqu’à la rivière. Charge ses poches de cailloux pour qu’il disparaisse à jamais.

Quand le corps tombe à l’eau, venant du Bourbonnais, un coq chante. La femme sourit ; elle devine à ce symbole que la fin des années de plomb est proche. Son combat ne sera pas vain, elle connaîtra la victoire et la libération. Elle s’en retourne à la ferme qui, aujourd’hui encore, se dresse fièrement sur le plateau.

La même histoire, le même esprit de résistance. Les trois coqs, les trois jaux, un par province, ont célébré la victoire de la femme éternelle sur l’envahisseur, le puissant et le méchant. On ne baisse pas les yeux dans ce coin de France et c’est ainsi que se perpétue la légende des chats-huants et des trois coqs. J’aime à croire que la belle femme rebelle existe encore, qu’elle remonte fièrement la sente avec son chien à ses côtés et, qu’un jour ou l’autre, elle repoussera définitivement à l’eau l'injustice, la peur et la misère. Puisse-t-elle ne pas tarder ; il s'en sont revenus les temps de trop d’injustice.

Chavannément vôtre.


Les « tailleux de douzils »

  Les « tailleux de douzils » Notre Vardiaux, beau et fier bateau Oh grand jamais ne transportait de l'eau Rien qu...